Francis et Jean-Félix Lalanne à Paris, au Bateau Théâtre « Le nez rouge« , le 7 décembre 2018.

Francis prévient l’audience dès le début : « Attention, si pendant la soirée vous me voyez pleurer, ne faites pas attention. C’est la présence de mon petit frère qui est là avec moi ce soir… » Et oui… Vingt six ans que les fans attendaient ces retrouvailles entre Francis Lalanne et le virtuose de la guitare, Jean-Félix. Alors que chacun vivait sa carrière solo avec un regard bienveillant réciproque, ce doux rêve de réunion auquel les fans ne désiraient même plus songer a pris tout le monde de cours. Qui aurait pu l’imaginer dans cette salle, Le Nez rouge, un petit théâtre parisien des plus intimes… Devant seulement une centaine de privilégiés… Alors que Renaud Hantson vient d’y capter son prochain spectacle pour réaliser son futur DVD, c’est au tour des frères Lalanne de proposer dans ce lieu « hype » un spectacle inédit, événementiel même. Une surprise de taille créée en seulement un claquement de doigts.

Alors que le 8 décembre 2018, la première date de Francis Lalanne en solo a été remplie en seulement deux heures, l’organisateur, Gérald Dahan, l’illustre comique français et propriétaire des lieux, a dû rajouter un second concert, le 7 décembre. Et c’est cette date qui va attirer toutes les attentions. Alors que Jean-Félix voulait juste assister au concert de son frère aîné, Francis lui a donc mis le Deal entre les mains : « Si tu viens me voir en concert, c’est uniquement pour te tenir à mes côtés et jouer en duo avec moi. Comme au bon vieux temps ! » Il n’en a pas fallu plus pour que le duo se reconstitue à l’arrache, juste le temps d’une soirée mémorable. Unique.

Retour à l’événement.
Vendredi, Jean-Félix arrive sur scène le premier. Francis attend patiemment son tour. La première date démarre au rythme des applaudissements très soutenus dignes de l’événement. Jean-Félix assis sur un tabouret sur la gauche de la scène et Francis, lui, est installé à ses côtés. Le chanteur, débarque tout juste de Nevers, où il avait joué la veille. Toujours aussi réactif à la vie sociétale, il arbore un gilet jaune en soutien au mouvement qu’il défend ardemment. Francis ne calcule rien, il vit sa vie comme ses émotions, toujours sans filet. Pour lui, seulement la sincérité et l’engagement doivent primer face aux injustices qu’il aime condamner. Francis Lalanne ne change pas. Tout comme son héros Atom le rebelle, Francis, reste toujours un fervent poète combattant des causes à défendre, souvent en chansons. Comme ce 7 décembre 2018 avec cette prestation contre les institutions politiques avec son titre non moins évocateur, ‘’Allez tous vous faire mettre’’. Il demande à son public de reprendre en chœur avec lui le refrain… Là encore, rien ne change, Francis ne fait que ce qui lui plaît. Il faudra s’y faire. Peu importe le résultat néfaste sur sa longue carrière, le plus important pour lui : toujours conserver à tour prix son authenticité !

Ce soir-là, le duo reconstitué affiche un sourire et une complicité semblable aux années fastes des années 80. Les spectateurs du soir retrouvent cette jubilation avec une immense joie… Nos souvenirs remontent d’un coup, et là encore, rien ne change. Bien au contraire. Le respect mutuel et l’immense émotion qui se dégagent ce vendredi avec ce concert à deux guitares prouve là encore qu’avec le chemin parcouru par les frères Lalanne, ces derniers ont renforcé et même développé leur complicité tout comme ils arborent fièrement le plaisir de partager la même scène.

Le début du spectacle nous met immédiatement tous dans l’ambiance. Après seulement deux titres, ‘’Tant que tu es là’’ et le superbe ‘’Celle qui m’a fait si mal’’, Jean-Félix a instantanément retrouvé ses sensations d’antan et ses réflexes au bout des doigts… Pari réussi : La magie est revenue, en quelques minutes… Mais, en avions-nous le moindre doute… ? Suit alors un joli poème ‘’Ce que l’on s’est dit fut fait’’, et la magnifique ‘’J’ai de la boue au fond du cœur’’, puis un nouveau poème ‘’Porte du sel’’. La salle se trouve en lévitation. Pour la cinquième chanson, au titre ambivalent, ‘’J’ai besoin d’ailes’’, (ou ‘’J’ai besoin d’elle’’), une nouveauté qui devrait figurer sur le prochain opus de l’artiste, le duo se taquine après une histoire de sol majeur. Selon l’aîné, cette note n’arrive pas au bon moment dans l’interprétation de Jean-Félix. Les musiciens parlent alors chiffon… Le public rit de bon cœur à leur échanges verbaux bien huilés… Quelques minutes plus tard, au tour du cadet de se mettre en avant avec un Medley de Chet Atkins.

Jean-Félix taquine ensuite son grand frère lorsque celui-ci décide de jouer tout seul un instrumental avant d’enchaîner sur un nouveau poème, ‘’Rêver’’. Vient alors une version magnifique à deux guitares de l’un de ses plus grands succès ‘’La maison du bonheur’’. L’émotion dans la salle se trouve à son comble. Nous voilà propulsés avec enchantement quarante années en arrière. Que du bonheur. Rien que du bonheur. Et d’ailleurs, avec une telle Setlist, comment en serait-il autrement ?

Comme à son habitude, Francis nous offre un spectacle idéal, alliant tous ses points forts : chansons aux parfums d’amour, poésies contées avec ses tripes, et un duo humoristique dont nous avions perdu l’habitude entre les deux frères… Le poète réinvestit le lieu avec ce superbe texte, ‘’Qui fut cette femme ?’’ Ensuite, dès les premières mesures de l’éternel ‘’T’es marron’’, à l’aide d’une nouvelle orchestration aux rythmes endiablés étonnants, nous voilà encore conquis aussi vite qu’un éclair… Le jeune guitariste joue d’instinct et « putain » que c’est bon… Simplement en regardant les mains de son aîné parcourir sa guitare, le prodige trouve le ton juste et les notes qui tuent. Le cadet jubile et ses rictus sur son visage démontrent bien que la félicité ne se trouve pas que dans la salle… Francis se produit toujours aussi libre et serein devant ses amis et ses fans, mais cette fois, à ne pas s’y tromper, il est heureux des retrouvailles professionnelles avec son petit frère. Comme il ne cache pas ses émotions, il suffit de le voir plaisanter pour l’affirmer. En réalité, la soirée événement se déroule à l’image du duo : une franche délectation pour tous… Francis qui a toujours la tête dans les nuages se fait même gentiment railler par le cadet lorsque le chanteur populaire se met à chercher « LE » médiator fétiche qu’il a perdu. Leur complicité d’adolescent retrouvée amuse toute la salle. Surtout lorsque Jean-Félix va pour enfoncer le clou jusqu’à improviser, sur une inspiration de Georges Brassens, une chanson de circonstance, ‘’Vous n’avez pas vu le médiator ?’’ Le temps s’éternise dans cette nouvelle quête et la salle hilare en redemande. Jean-Félix pousse la blagounette jusqu’à interpréter le générique de ‘’Mission Impossible’’… Le public toujours autant amusé entonne la chansonnette avec le facétieux Jean-Félix jusqu’à ce que Francis finisse par retrouver le fameux médiator, … Dans sa poche… Ce fameux médiator qu’il voulait absolument utiliser pour le titre précédent uniquement… ‘’Qui aurait pu le croire ?’’

Francis ne changera donc vraiment jamais. Il demeure ce fameux enfant rêveur, adolescent idéaliste, adulte et poète que ses fans aiment depuis déjà quarante ans. Vient ensuite l’hommage à Brassens avec ‘’Je me suis fait tout petit’’… Un autre clin d’œil : comme Francis le raconte en rapport au célèbre médiator… Mais n’allez pas imaginer que Francis demeure un homme qui se laisse dépasser pour autant… Ce basque possède une peau coriace, demandez-le à ses détracteurs. L’ambiance sur la péniche s’avère toujours aussi majestueuse et digne des grands soirs. Voilà, tout au long du concert, de vrais moments de bonheur s’accumulent pour notre plus grand ravissement. Chacun apprécie en retrouvant ce que nous avons tous aimé plusieurs décennies plus tôt chez l’artiste maudit… D’autres moments magiques se succèdent sur scène comme les deux frères ont toujours su nous offrir durant notre adolescence.

Non contents de leurs excellentes joutes guitaristiques et humoristiques, l’exploit artistique de la soirée demeure néanmoins ailleurs. Sans aucune répétition, sans aucune préparation de Setlist, juste sur le désir de l’instant lié à leur complicité, le duo fraternel joue et enchaîne les titres au Feeling. Ils ont improvisé pendant plus de trois heures. Comme au bon vieux temps. Une improvisation presque totale pour Jean-Félix. Une soirée à découvrir des chansons qu’il n’a jamais entendues. Le ton est donné. En cette soirée exceptionnelle, on passe d’un univers à l’autre.

Vient ensuite la chanson  »Pour Delphine », une charmante jeune femme qui s’occupe d’enfants, Francis chante ‘’Isabelle caramelle’’, une bouleversante chanson à propos d’une fan qui représentait dans les années quatre-vingt le soleil ardent de ses concerts et qui est décédée trop jeune d’une maladie orpheline… Après ce moment très émouvant, Francis laisse couler quelques larmes. Sa douleur s’avère si béante que pour la chanson suivante, Francis lâche avec sa voix tremblante à Jean-Félix « S’il te plait, joue un truc, joue un truc » … Avec ces minutes poignantes, le cours festif de la soirée reprend avec ‘’Pleure un bon coup ma p’tite Véro’’… Le voyage artistique dans le passé se révèle sublime, et judicieux.

Nous naviguons sur cette péniche, avec des haltes artistiques régulières, allant d’un monde poétique que Francis maîtrise à merveille, à un répertoire musical sublimement orchestré. Composé d’anciennes chansons, comme la légendaire ‘’On se retrouvera’’, et de nouveaux titres, en anglais ‘’A Lullaby’’, et ‘’I’ve Seen An Angel’’, ce dernier écrit au lever du jour à Los Angeles. Ces deux chansons anglophones promises pour son prochain opus. Ce nouvel album tant attendu par tous que Francis compte sortir en trois langues, anglais, français (langue de son père) et espagnol (langue de sa mère). La surprise sera surtout pour Jean-Félix. Alors qu’il ne les avait jamais entendues, le prodige apprend en direct devant la centaine de personnes présentes qu’il va devoir réaliser ce prochain disque. Nouveau moment de rires et de complicités fraternels.


Retour dans le désordre aux poèmes avec ‘’Ma décharge urbaine’’, ‘’J’ai rêvé d’elle’’, et ‘’Acheter mon livre, j’ai faim’’ . La soirée voit défiler d’autres reprises, ‘’La rouille’’ de Maxime Le Forestier, ‘’Heart Of Gold’’ de Neil Young, et ‘’Combien de temps’’ – la version française plus longue de ‘’Blowin’ In The Wind’’ – de Bob Dylan. Autant de surprises plus heureuses les unes que les autres. Noël sonne décidément avant l’heure en somme. Le couple magique embarque l’audience dans l’extase. Même si finalement déjà conquis, le public s’émerveille encore des remarques amusantes de Francis à son cadet « Tu es venu ce soir exprès pour me manquer demain… Et je sais, tu n’en es même pas désolé… J’adore, lâche-t-il en riant, … Comment je le fais culpabiliser… (nouveaux éclats de rire dans la salle).  »Je vous l’annonce, il va partir et il sera super mal ! » Les chicaneries pleuvent de partout… Jean-Félix y va de la sienne. Le cadet interpelle son frère aîné sur la chanson suivante ‘’Ils ont rêvés’’, un titre que le chanteur contestataire veut dédier aux Gilets jaunes… Une plaisanterie que l’aîné voit bien venir… « La prochaine chanson, dit Jean Félix le sourire aux lèvres, est une chanson de Jean-Jacques Goldman : ‘’Gilets au bout de mes rêves… » Et après avoir bien ri, au chanteur de rétorquer, « Alors, je ne le connais pas bien mon petit frère… ? «  Vient alors le moment de l’exploit de la soirée. Le duo s’exécute en jouant de la guitare à quatre mains, un numéro datant de trente ans. Francis prévient, toujours en riant, qu’ils ne l’ont pas exécuté depuis 30 ans alors, s’ils le ratent, ils vont pouvoir se faire huer. Qu’importe, ils le tentent… Et, ils y parviennent les bougres, comme à la grande époque. La vengeance étant un plat qui se mange froid…, le moment de la petite vengeance de Francis sonne, juste avant de chanter ‘’Ouvrir son cœur’’. Francis taquine son petit frère sur son propre terrain : lui, Jean-Félix, le grand guitariste émérite. Ce dernier commence à jouer alors qu’il n’est pas accordé, mais gratte, comme le souligne le chanteur, « Tu joues sur une guitare non accordée, juste tempérée ». Son instrument sonne faux, un comble pour Francis… Devant une audience enthousiaste et une nouvelle fois hilare, Francis prend un malin plaisir à rire de son petit frère. Un tendre jeu espiègle s’installe entre les deux frères afin de définir celui qui a raison et celui qui a tort… Leur jeu s’avère être d’une drôlerie exquise. Contre toute attente, et après deux minutes de vannes chirurgicales et de rires d’une salle attendrie, nous nous rendons à l’évidence : le poète avait raison et le guitariste chevronné doit admettre son erreur face à une salle complice… Ironie de la situation, au début de la soirée, c’est bien Jean-Félix qui avait accordé la six cordes de Francis pendant qu’il nous contait les péripéties avec Alan Stivell lors d’un enregistrement épique sous Marijuana

Les heures passées sur cette péniche défilent trop vite. Le public en redemande. Les frères Lalanne ne semblent pas vouloir nous quitter, et pourtant… Ils s’en vont avec juste un « Merci pour ce soir ! » Alors, si cette soirée devenait la première d’une longue série du même registre… ? En tous les cas, pour l’heure, chacun retrouve ses pénates afin de vaquer à ses occupations : Jean-Félix afin de retourner auprès de sa famille et Francis pour revenir le lendemain requinqué à bloc. La nuit reprend ses droits, pendant que j’envoie une chaleureuse pensée à leur Mamita qui, après ces prodigieuses retrouvailles, aurait de quoi être plus que fière de ses deux bambins chéris… A demain.
Live Report & images : Carlos Sancho.