Stephan Eicher & Traktorkestar
, à Paris, le 2 février 2019 au Grand Rex.

Le Grand Rex accueille ce soir. Cette mythique salle propose une soirée très différente de celles qu’elle a l’habitude d’offrir à ses membres. Le décor en témoigne. C’est certain. Roue de tracteur, paille, pingouin sur la scène dans un décor… Champêtre. Et ce côté bucolique n’est pas là par hasard. Il est 21 heures 51 lorsque les douze musiciens suisses arrivent en fanfare en traversant la salle afin de monter sur la scène devant un public ébahi. Si, si. Le groupe donne le ton de la soirée : Trois percussionnistes, trois trompettistes, deux saxophonistes, un joueur de tuba et trois autres instrumentistes forment cette troupe décalée. Après une intro ahurissante digne d’une fête de village, un treizième musicien débarque. Ce dernier arrive du coté cour de la scène, donc, côté droit, c’est le bassiste. Enfin, un instrument que je reconnais… Au total, le groupe n’est composé que d’instruments à vents finalement…

La lumière sombre sur les planches ne laisse percevoir qu’un filet blanc qui se projette sur le joueur de tuba. Le premier saxophoniste, seul musicien parlant français, chauffe la salle de sa voix suisse pour indiquer à l’audience les termes de la soirée qu’il a décidé de nous faire passer. Il nous invite à danser, nous embrasser, chanter, … Quel programme… On est donc là vraiment pour une soirée festive, c’est définitivement actée. Pour finir son laïus, le jeune homme nous demande de faire un triomphe à celui que nous sommes tous venus soutenir, j’ai dit Stephan Eicher. Le public l’applaudit sans retenue pendant que le joueur de tuba se décale afin de nous faire découvrir celui qui se cachait habillement devant lui, le magnifique Stephan Eicher. Les trompettes rythment l’apparition de leur Boss. Habillé d’un costume en velours noir et d’une chemise blanche, sa tenue sobre habituelle nous rappelle l’élégance à laquelle il s’est toujours assignée.

Dès son arrivée, Stephan Eicher nous met dans l’ambiance pour sa première chanson « Déjeuner en paix » : dans ce décor champêtre que l’on retrouverait bien au salon de l’Agriculture, la fanfare digne d’une fête d’été de village, le sien peut-être, interprète tout un répertoire entièrement réorchestré. La réorchestration totale de son spectacle me laisse dubitatif, mais j’avoue plutôt osée. Quel boulot de titan que je me dois de saluer. Mais aussi quel risque… ! Enfin, pour le décor ubuesque auquel je ne m’attendais pas, je n’oublie pas que Renaud l’avait déjà réalisé en son temps, en 2007, pour sa tournée « Docteur Renaud et Mister Renard« . Le titi parisien avait reconstitué sur la scène de Bercy la place de son village, avec bien entendu son bistrot préféré…

Stephan Eicher enchaîne avec « Louanges« . Pendant le solo de trombone, le chanteur bouscule son public en l’incitant à manifester son plaisir. A la fin de ce titre, Stephan Eicher tombe la veste et remonte les manches, en nous rappelant qu’il en a bien deux et que cela pourra lui prendre un certain temps. Son gilet noir laisse apparaître son éternelle touche Dandy que Stephan porte depuis plusieurs décennies. Suit ce titre festif, « Envolées« , tiré de son treizième et dernier opus en date, en 2012. L’intro et sa chorégraphie suisse amuse l’audience. Tous les musiciens alignés au milieu de la scène basculent leurs pieds en rythme de gauche à droite. Ne serait-ce pas du Kamel Ouali revisité… Bref, à chaque fin de refrain, certains musiciens nous gratifient d’un petit solo d’une très courte mesure. Une petite trompette commence sa participation musicale pour laisser place au deuxième, le saxophone, afin de finir par le troisième, un solo exquis des deux saxophonistes.

Vient ensuite l’excellent « Cendrillon après minuit« , tiré du super album « Taxi Europa« . Un album magnifique de 2003 suivi d’une superbe tournée qui avait commencé par un Studio RTL, animé par Eric Jeanjean. C’est la dernière fois que j’ai eu le plaisir de voir Stephan Eicher sur scène. Imaginez le revoir au milieu d’une fanfare 16 ans plus tard,… Impensable pour moi à l’époque. Et pourtant, quand on connaît l’artiste Suisse et ses idées farfelues… ! Bref, avec « Cendrillon« , sur les notes du tuba, la salle accompagne de trois battements de mains réguliers à chaque fin de mesure. Cet effet de style est porté par un léger filet de lumière blanche pour que la lumière finisse par jaillir sur l’ensemble de la scène. A l’image de ce spectacle qui s’introduit peu à peu en chacun de nous… Le solo avec les deux saxophonistes s’avère splendide. Les deux musiciens se donnent la réplique. Ils enflamment la salle.

Une fois la chanson terminée, Stephan Eicher récupère alors sa Télécaster Fender et en profite pour laisser quelques minutes de répit à ses musiciens. L’un d’entre eux s’installe au piano, coté jardin, donc gauche de la scène, pendant que les autres soufflent un peu. Stephan Eicher, artiste au caractère trempé qu’on lui connaît et qui n’a pas sa langue dans sa poche, nous explique pendant ce temps qu’il est venu jouer de la musique et non raconter les grandes difficultés que rencontre l’industrie du disque. Une industrie menée par des représentants discographiques qui ne cessent de distribuer aux artistes de la vaseline lors de leurs multiples rencontres organisées avec les artistes, explique-t-il. Le public ne s’imagine pas à quel point Stephan Eicher dit vrai… ! Enfin, sur cette scène du Grand Rex,  »The show must go on »… et c’est bien là le principal !

Pour la chanson suivante, « Etrange« , Stephan Eicher pousse l’ironie jusqu’à nous concéder un petit discours très taquin… Stephan nous alerte de son ingénieux Concept Marketing très novateur qui consiste à réaliser une tournée promotionnelle avant la sortie du disque. Enfin, pas si novateur que cela ! D’autres artistes l’ont précédé sur cette voie là… Cependant, il y a souvent une raison à ce nouveau plan Marketing de plus en plus à la mode.  N’oublions pas que l’inverse, à savoir le cycle normal d’une sortie d’un disque qui précède la tournée, s’applique surtout lorsque l’artiste, bien entendu, dispose d’une maison de disques pour travailler la promotion… Et, Stephan Eicher ne semble plus être dans ce cas depuis quelques années… Peu importe, le public l’applaudit pour le soutenir en lui démontrant tout son amour et ainsi lui donner la force de poursuivre sa carrière. Pour notre plus grand plaisir, d’ailleurs.

Néanmoins, des indiscrétions fusent quand même à propos du nouveau disque… Il devrait sortir le 15 février 2019 et s’intitulera « Hüh« . Pour les fans, il sera composé de reprises de ses propres titres avec Traktorkestar, l’ensemble qui l’accompagne depuis plus d’un an. Ah ! Pour les aficionados de la première heure, rassurez-vous, un album original est prévu pour juin 2019. La grande question : sous quel Label devrait-il sortir ? Enfin, revenons au Grand Rex. Sur ce magnifique « Etrange« , à l’aide d’une telle montée sonore exceptionnelle, les cordes jouent directement sur la qualité émotionnelle de ce que nous ressentons. Stephan Eicher sent une adrénaline qui le porte vers le devant de la scène afin de communier avec ses fans heureux. Ces derniers manifestent leur joie d’être face à lui. La fin de la chanson se déroule dans une finesse emplit de douceur et de délicatesse. Alors que le chanteur se trouve au milieu de la scène face à son public, Stephan Eicher se nettoie le nez et se sent obligé de nous expliquer que cela n’a rien à voir avec son hyper sensibilité dont il est naturellement pourvu. Stephan Eicher ne nous la joue pas, même s’il n’est pas dupe et qu’il reconnait que ses émotions l’assailliront un peu plus tard… Vu ce que nous venons d’entendre, et surtout ce que nous voyons sur scène, permettez-moi d’en douter Monsieur Eicher !!!

Vient l’inénarrable « Pas d’ami comme toi » qui résonne de ma tête depuis des décennies. Ce titre restera longtemps parmi mes chansons favorites. Pendant que Stephan Eicher l’interprète, je ne peux m’empêcher de penser à mes amis qui me sont si chers. Ceux qui ont toujours su m’accepter tel que je suis sans jamais chercher à me changer. Juste essayer de me comprendre en me suggérant simplement de meilleures voies à suivre parfois.

La suite du spectacle champêtre façonne ce moment du samedi soir à Paris :  »The place to be ! »  Avec son humour fin et quelque peu ironique, Stephan Eicher s’amuse en nous contant l’une des dernières rencontres avec un Label Manager et son équipe de direction. Ces hauts responsables lui envoient sans s’en rendre compte un message ahurissant « Quand tu as écrit cette chanson, aucun d’entre nous n’était né ! » Il n’en fallut pas davantage pour que la salle s’esclaffe face à cette ineptie et néanmoins triste réalité ! Un constat si dur pour nous autres, comme diraient les canadiens. Une réalité qui explique peut-être une certaine incompétence au sein des maisons de disques françaises. Et si ce n’était que de l’incompétence parfois ! Stephan ne manquant pas néanmoins de recul et d’humour décide donc de convoquer son plus jeune musicien pour lui apprendre les paroles de son morceau. Ainsi, il l’enseignera à son tour aux autres générations afin de leur permettre de faire perdurer son travail… Ingénieux, non ?

Le public rit de nouveau. Décidément, Stephan Eicher a réponse à tout ! Stephan fait donc répéter le texte du premier couplet de « Les filles de Limmatquai« . Ce titre magique s’avère repris par un public chaleureux et aimant. Le refrain de cette magnifique chanson devient le temps d’une soirée un nouvel hymne lorsque les fans reprennent en chœur, « Je veux toujours l’amour, je veux l’amour toujours. » Le tempo, lui aussi plutôt soutenu, laisse la place au saxophoniste qui se lance dans un superbe solo. Pendant ce temps, certains musiciens l’enrobent d’une longue bandelette rouge et blanche, et d’autres lui lancent des confettis. Le Grand Rex devient le temps d’une soirée un espace festif rempli d’amour. Que c’est bon. Le très long solo, et néanmoins tout aussi excellent, permet à Stephan Eicher de se décontracter.

Peut-être pour recharger ses batteries… Assis sur un fauteuil en cuir noir, le chanteur lit le journal. Certainement celui de son pays natal… C’est alors que le bassiste réveille tout le monde en débarquant avec un très gros son qui doit réveiller Stephan puisqu’il se lève brutalement et s’écrit « Mais, c’est quoi ce bordel ? » La scène se fige alors. Stephan, semblant gêné, s’adresse à son public en excusant de l’attitude juvénile de ses musiciens qui ravis de se trouver à Paris se dispersent comme des gamins devant un sapin de Noël. Le Boss reprend alors le contrôle de la soirée. Il faut savoir se faire respecter voyons… Stephan Eicher agrippe alors sa guitare et décide de reprendre le riff de « Les filles de Limmatquai » afin de relancer le second solo de saxo. Le public exulte et marque de nouveau le tempo en battant la mesure à la noire tandis que le chanteur finit la chanson par un refrain adlib. L’envolée musicale que j’entends à cet instant n’a rien à envier aux musiciens Rock. Putain, que c’est jubilatoire ! Si les patrons des maisons de disques d’aujourd’hui n’étaient pas nés lors de la conception de cette œuvre, j’espère au moins qu’ils étaient présents ce soir pour découvrir l’excellent Performer que Stephan Eicher peut être devant son public… Mais ne rêvons pas, venir assister à un spectacle d’un véritable artiste, Suisse de surcroît, cela ne doit certainement pas être leur quotidien… !

Après une telle débauche d’énergie, Stephan, n’oublie pas qu’il vieillit comme nous tous. Il se dirige doucement vers le piano et se lance dans un troisième discours qui fait de nouveau rire toute une salle aux éclats… « Je défends la SNCF…, j’irai au bout avec eux pour des raisons certes de déplacements, mais pas uniquement. Aussi à cause des grandes pauses en attendant de monter dans mon train. C’est vrai parfois les trains ne sont pas à l’heure, et des fois, ils ne sont même pas là… » La salle est pliée en deux d’un rire ininterrompu… L’artiste enfonce le clou. « Lorsque j’attends mon train, les agents SNCF ayant eu la bonne idée d’installer des pianos dans certaines gares, alors je m’en sers. Du coup, je peux répéter tranquillement mes gammes en attendant mon train. Puis, une fois chez moi, je n’ai plus qu’à me mettre à composer de nouvelles chansons. C’est un vrai gain de temps. Merci la SNCF.  » La salle s’écroule de rire à cette évocation pince sans rire… Mais le petit Suisse n’en finit pas là. Stephan Eicher prend la posture de Rodin, assis derrière le piano, afin d’expliquer à son public sa méthode de travail pour composer ses nouveaux titres. Pour ceux qui ne connaissaient pas Stephan Eicher, le bout en train, ils découvrent une nouvelle corde à son arc : Stephan Eicher sait aussi faire rire… Et cela ne date pas d’hier !

Lancé en mode caustique, Stephan enchaîne, mais quelqu’un arrivera-t-il à le stopper ? « La prochaine chanson, vous ne la connaissez pas. Ainsi, vous ne pourrez pas me dire si je la joue bien ou non ! » Effectivement, vu sous cet angle, on ne joue pas dans la même cour. Alors, vas-y Stephan fait nous partager… Les premières notes de « Prisonnière » bousculent. Ah, le « salaud » ! Ce morceau happe l’assistance. Le second couplet avec la superbe présence exquise du saxophone entraîne l’audience vers encore un peu plus de douceur. Une magie supplémentaire se crée entre l’artiste et son public. Sur deux mesures, le solo de trombone envoie nos oreilles vers un coussinet de plaisir sur lequel elles se posent délicatement. Une légère brise s’invite sur la sono parfaitement bien équilibrée qui nous fait frémir encore plus de désir. Le second refrain quant à lui inspire une beauté traduisant une sérénité et une alchimie dans ce magnifique lieu qu’est le Grand Rex. Ce haut lieu de notre enfance où nous venions visionner les dessins animés de Walt Disney après avoir été émerveillés par le formidable spectacle de la féérie des eaux… Le final de « Prisonnière » se dilue délicatement au piano uniquement et laissant ainsi place avec finesse au merveilleux « Rivière« . Cette chanson demeure un monument pour moi. Je reste bouche bée comme un enfant devant ce spectacle éblouissant.

Mais la magie de l’émotion ne va pas s’arrêter là. Dans une totale pénombre, on finit par distinguer dans un balcon à droite de la scène une magnifique chorale tandis que leur chef d’orchestre se tient pile en face, sur un autre balcon. La surprise fait vaciller. La chorale se lance alors dans une sublime interprétation d’un chant typique de la Suisse Romande devant un public complètement médusé. Ces superbes quelques minutes seront interprétées donc en Rumantsch, un des quatre dialectes de sa région natale parlé par plus de 60 000 personnes en Suisse. Quand même. A peine la démonstration vocale achevée, Stephan Eicher nous présente la chanson suivante « Guggisberglied« . Stephan, toujours aussi malicieux, nous explique qu’il adore chanter ce titre partout. Il adore par dessus tout voir la tête des spectateurs, qu’ils soient à Sarreguemines, Bordeaux, Juan les Pins,… Ou Paris, le chanteur rit de voir que personne ne comprend jamais rien à cette chanson qu’ils prétendent pourtant tous apprécier. L’artiste s’en amuse à chaque fois. Pour nous préparer, Stephan Eicher demande à un de ses collaborateurs, l’ingénieur du son en l’occurrence, de nous mettre dans une ambiance qui lui rappelle son enfance dans sa Suisse natale. A l’aide d’effets spéciaux, l’ingénieur du son nous bâtit des montagnes afin de nous faire rejoindre le magnifique pays de Stephan… Ce dernier lui suggère d’ajouter un glacier, puis comme le chanteur se révèle aussi très joueur, il lui conseille d’ajouter également une petite avalanche… La salle réagit… Nous semblons tous partis en randonnée montagnarde… Les bruits que l’ingénieur du son nous propose nous font indéniablement voyager, surtout si nous fermons les yeux.

D’une voix si reconnaissable Stephan Eicher glisse dans les sonorités ambiantes, « Mon pays, c’est des montagnes, des lacs, des places, des arbres, … Des banques… Et des bateaux pour nous rendre dans nos banques… Oui, de petits bateaux, n’oublions que nous ne sommes qu’en Suisse. » Le public tonne de rire. Stephan poursuit tranquille son voyage dans sa mémoire d’enfant sans se laisser perturber par les rires de l’audience. Dans une ambiance christique, tous vêtus de noir et dans une certaine obscurité, la chorale se lance comme une seule voix magique pour être rejoint par le timbre vocale si reconnaissable de Stephan. Et là, c’est le choc ! Alors que l’ambiance faisait rêver, la musique champêtre suit avec des musiciens provenant tous de la région natale de Stephan Eicher. Nous voilà revenu au Grand Rex, finit l’image bucolique que nous avions dans nos têtes. Le solo de trombone, sous un nouveau lancement de confettis, se déroule face à une assistance en pleine lumière… Heureusement que la chorale m’envahit et me transporte loin, très loin dans mes émois profonds… Comme avec ces chants Gospels dans une église à Harlem… L’émotion me porte alors jusqu’au lâcher de petites larmes. Tous les instruments à vent se trouvent alignés sur le devant de la scène pendant que Stephan Eicher danse frénétiquement devant sa chorale avant de rejoindre les trois percussionnistes pour s’emparer du tambourin afin de finir ce moment de communion Suisse sous les applaudissements nourris des spectateurs. Sur la dernière note, tous se figent pendant trente secondes. Quel régal.

Après cet interlude d’applaudissements, quelques notes de xylophone arrivent. C’est le tour d’un autre hymne de Stephan Eicher, « Combien de temps« . La salle exulte. Moi aussi, mais chut, … Un solo des trois percussionnistes est emmené par un public qui marque le tempo de leurs mains, tandis que les autres musiciens dispersent encore des confettis alors que le solo de saxophone prend la relève… La fête bat son plein. Cet instant magique s’achève sur des percussions en fond sonore qui montent en puissance pour un final explosif digne d’un Happy End des films hollywoodiens des années cinquante. La salle se trouve mise à contribution. Stephan  Eicher, en Maitre de Cérémonie, interpelle son public et lui demande de le rejoindre dans cet instant de communion. Des moments magiques comme il en a déjà créé plusieurs lors de cette soirée. Stephan, toujours aussi joueur, explique que pour le final de « Combien de Temps« , il désire que cela se passe dans une pure folie : Stephan Eicher veut accélérer encore et encore le tempo à chaque fin de mesure afin de terminer son hymne par un tempo digne d’un groupe de Speed Metal… Quelle éclate ! J’aurai eu droit à des surprises toutes aussi inattendues les unes que les autres.

Pour la dernière chanson avant le rappel, « Où que tu ailles« , Stephan Eicher explique qu’il recherche une chorale bien plus imposante que celle qui se trouve déjà avec lui sur scène. Elle semble toute trouvée : 2 500 personnes du Grand Rex, cela devrait suffire, non ? Un de ses musiciens nous explique donc comment chanter les paroles du refrain de la chanson qui va suivre « Où que tu ailles où que tu sois« , un morceau écrit par son éternel alter égo, Philippe Djian. Le trompettiste fait répéter d’abord le balcon, puis la mezzanine, avant de transmettre la voix à l’orchestre. Il n’y a rien à dire, franchement, ça le fait ce truc ! Encore une ficelle du métier qui fonctionnera toujours. Stephan Eicher demande à la salle de tout donner pour assurer la plus belle des chorales. Alors que la chanson vient de démarrer, Stephan n’en étant qu’au premier couplet qui comporte trois phrases, le saltimbanque explique les consignes à son public. A chaque fin de ligne, il lance un petit rappel à son public, « C’est à la fin que vous chantez« , puis, « Il ne faut pas oublier les paroles« , et avant de lancer tout sourire à la salle « On répète« … Le Grand Rex possède désormais une chorale énorme avec 2 500 personnes qui entonnent le refrain de Philippe Djian. Un peu plus tard, le solo de saxo décoiffe…  Il intervient juste avant la présentation des musiciens. Chacun se prépare pour un final explosif. La montée en puissance arrive comme un véritable coup de poing dans l’émotion afin de nous réveiller et de nous propulser dans les nuages qui se trouvent dans le magnifique plafond du Grand Rex… Pendant la dernière mesure, Stephan Eicher s’éclipse sur un simple « Vous êtes adorables, merci ! »

L’heure du premier rappel a sonné. Le percussionniste revient le premier afin de préparer sous un tonnerre de percussion l’arrivée du saxophoniste qui, contre toute attente, s’empare de la guitare électrique. Le bassiste suit. Stephan arrive ensuite pour démarrer en trio « Ce peu d’amour« . Les autres musiciens débarqueront pour le second couplet. Sur ce titre, rien à dire si ce n’est que ce gigantesque moment fait lever la salle entière. Le chanteur s’avère en forme ce soir. C’est indéniable. Il ne veut pas quitter le Grand Rex sans décrire sa loge. Stephan Eicher explique qu’elle est équipée d’un jacuzzi, d’un mini golf, et de chevaux de polo… Et bien entendu, un distributeur de fromage. Pour l’horrible mur derrière les musiciens, et qui les sépare de leur loges, Stephan confie qu’il a certainement été construit par un américain con avec son chapeau de Cow-Boy d’idiot. Doit-on y voir là, une référence au Mexique et à l’élégant Donald… ?  Cela me plaît en tous les cas de le penser surtout lorsque l’on découvre la suite du spectacle…

Arrive le moment de la présentation de l’excellent, le magnifique, le talentueux Carlos… Oui, tout ça pour un seul homme ! Mais, attention, il parle de l’autre, pas de moi… ! Mince. Cet hispanique sur la scène, a peut-être justement un lien avec le mur mexicain auquel Stephan Eicher faisait référence quelques minutes plus tôt… ! Maintenant, je n’en doute plus. Le musicien hispanique armé de sa casquette, de sa trompette et nous délivrant sa musique de corrida embarque toute une salle vers une fête sans aucune retenue. Oui, sans retenue. En passant du côté cour au côté jardin, Carlos, le trompettiste, marque le départ de près de dix minutes de délire… La pause folie ! Le public monte en masse sur la scène… Tout le monde danse, saute sur les planches, … Le solo de tuba et les battements des mains pour porter la fiesta font rage. Manque plus que la Sangria et la fête serait parfaite… Les deux saxophonistes donnent une respiration plus artistique. Les percussions, le trio de trompettes, et Balthazar, ce lanceur de confettis qui arrose le public, redonnent le sens de la fête à ce Grand Rex dans lequel retentissent les cris, les applaudissements et les chants festifs de la troupe du Traktorkestar

Lors du final, les musiciens repartent devant le public pour la seconde fois ébahis vers le fond de la salle ne laissant sur la scène que Stephan Eicher. L’artiste passe le balai, après avoir accordé des dizaines de câlins et de selfies aux chanceux fans présents à côté de lui… Le saltimbanque nous surprendra toujours. Stephan Eicher s’amuse à déblayer la scène désordonnée par des kilos de confettis que ses acolytes lui ont lâchés dessus durant tout le concert. Il repousse les fans en leur demandant de quitter les planches afin qu’il puisse tout nettoyer. Ils s’exécutent gentiment, ses admirateurs sont respectueux et bien sages.

Lorsque la scène se vide, Stephan Eicher rejoint doucement le piano. Une fan qui tardait à redescendre de la scène reste collée à son idole. Elle cherche désespérément à faire un selfie avec Stephan et se prend une remarque qui fait rire toute la salle. « Il faut tourner la camera. elle comprend rien ! » Une fois la photo dans la boite, enfin… Stephan lance le somptueux « Nocturne » de sa voix suave. Après le second refrain, le saxophone se glisse langoureusement dans les notes du piano que distille habillement Stephan Eicher. Mention spéciale et « Big up » donc à la SNCF pour toutes ses heures qu’il a passés à jouer dans les gares françaises… Bref, cet instant s’avère juste sublime… Le public le reconnaît et il applaudit très chaleureusement. La chorale rejoint ensuite Stephan Eicher pour donner sa voix au fameux « Nocturne » afin d’embellir ce moment de merveilleuse communion. Idyllique, même. Que dis-je, magistral ! Au bout de deux minutes et quelques secondes, Stephan Eicher lance ses musiciens dans un final qui s’achève sur une forte émotion portée par tous les instrumentistes alignés sur le devant de la scène. Le moment se révèle si sublime que d’autres larmes s’échappent de mes yeux. Solo des trois trombones, puis retour sur le devant des saxophonistes qui jouent une partition des plus sensuelles. La salle se trouve transportée. Je suis moi même debout en cet instant majestueux salué par toute une salle conquise. Stephan Eicher s’avère acclamé. Les musiciens remercient l’ovation unanime d’un public du samedi soir sur la terre champêtre parisienne. L’espace se vide et le noir tombe sur cette scène où la encore, la féérie des notes a su faire briller le cœur de chacun des spectateurs. Depuis mon enfance, cette salle se révèle mystérieuse et féérique. Que ce soit pour y voir des dessins animées ou de superbes concerts comme Brian May, Iggy Pop, Smashing Pumpkins, … cette salle m’a toujours envouté. Alors ce soir du 2 février 2019, ce moment paisible dans la pénombre ne le sera que pour peu de temps. Stephan Eicher revient pour un second rappel. Le dernier. Et pas des moindre…

Stephan Eicher rejoint seul la scène et nous offre un de ses plus beaux hymnes, « Tu me dois rien« . Pour ces dernières minutes, il a décidé de les passer avec nous en créant une œuvre contemporaine. Stephan Eicher nous propose de contribuer à cette fameuse œuvre contemporaine avec lui. Un moment unique qu’il désire capter pour l’emmener dans sa campagne du sud de la France. Stephan nous demande de tous sortir nos portables et pendant qu’il accorde sa guitare de caler notre Timer à trois minutes précises et de ne déclencher le compte à rebours qu’à son Top. Uniquement à son Top. Stephan demande à son public de lui promettre pour ne pas faire lui faire rater l’effet qu’il escompte réaliser dans cette salle mythique. Là encore, ce facétieux chanteur et excellent saltimbanque jouera jusqu’au bout. Stephan désire ardemment découvrir les sonneries les plus diverses, absurdes et drôles que chacun a osé mettre sur son portable. Je vous l’ai dit, toujours aussi farceur ce chanteur. Bref, Stephan, sait où il va. Pas nous. Peu importe, la salle le suit aveuglément. Alors, une fois prêt, Stephan donne le départ pour le lancement du Timer. Top ! Stephan calcule et se lance à son tour au bout de 15 secondes. Le début de « Tu me dois rien » se révèle interprété dans un silence quasi monacale. L’émotion se ressent, c’est indéniable. Et lorsque arrive le bon moment, Stephan chante cette dernière phrase, avant de se figer « On écoute patiemment… » Et le baladin étant arrivé là où il désirait, Stephan Eicher attend, c’est le cas de le dire, patiemment que toutes les sonneries retentissent comme prévu dans la salle… Avec cette fameuse précision helvétique de l’horlogerie Suisse… Et ces sonneries, il les laissera retentir jusqu’à la fin de la chanson. La toute fin, vraiment. Stephan Eicher sourit et la salle applaudit le génie de l’artiste. Stephan a réussit son coup. Quel talent !

Puis, arrive le temps de se quitter… Même les plus belles choses ont une fin. Stephan Eicher achève cette soirée avec un très sincère « Merci beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup. » Oui, je les ai comptés… Il y en avait bien six. Mais ne nous égarons pas, si Stephan Eicher prétend que nous ne lui devons rien, que dire des moments inoubliables et des chansons exceptionnelles qui nous ont accompagnées pendant plus de quarante ans. Merci et bravo l’artiste, cette fois, je n’attendrai plus 16 ans pour revenir te voir ! Sois en certain.

Texte & images : Carlos Sancho.