« La Chute de l’Empire américain« , de Denys Arcand.

Comment définir l’immensité de ma joie à retrouver la suite d’une trilogie qui m’a très fortement marqué puis à exprimer toute ma gratitude à la simple évocation d’aller voir « La chute de l’empire américain », ce dernier volet de la sublime œuvre de Denys Arcand… ? Le génie canadien, le cinéaste à l’esprit satirique, corrosif, mordant, perspicace et divertissant, est enfin de retour.

Après « Le déclin de l’empire américain », il y a 33 ans, en 1986, voici le réalisateur canadien exceptionnel qui nous revient avec « La chute de l’empire américain » ! Imprégné par le long métrage émouvant qui lui apporta la consécration, « Les invasions barbares », sorti en 2003, le cinéaste flirte avec le sublime avec une œuvre Oscarisé en 2003 dans laquelle il a dépeint un drame poignant sur la fin de vie. Après ce chef d’œuvre, j’ai vite compris qu’il y a des réalisateurs qui vous marquent et des films qui vous émeuvent au-delà de toutes espérances. Denys Arcand, l’ancien gauchiste revendiqué, digne des plus grands réalisateurs engagés, sait vous apporter l’émotion, la réflexion et la justesse exceptionnelle de ses idées, images et réflexions à travers un travail minutieux. Le cinéaste s’attèle à une véritable rigueur aussi bien dans ses documentaires socioculturels comme dans les films pour lesquels il s’imprègne de réalismes et toujours très documentés. Denys Arcand se révèle le pendant canadien de l’excellent cinéaste grec : Costa-Gravas… Ce n’est vraiment pas peu dire !

Alors qu’il avait généreusement abordé le sexe pour « Le déclin de l’empire américain », l’approche triomphante à propos de la mort dans « Les Invasions barbares », Denys Arcand signe ici une œuvre satirique exceptionnelle sur l’argent. « On a plus que le fric comme valeur, c’est la faillite de nos sociétés » exprime-t-il dans les différentes Interviews pour expliquer son judicieux choix de nouveau sujet à traiter. Selon l’artiste, l’argent est devenu roi dans un monde où tout sentiment se trouve banni au profit de l’importance que l’humanité consacre à l’argent.

Pour ce troisième volet, le héros de 36 ans, Pierre-Paul Daoust, chauffeur-livreur avec un doctorat en philosophie, incarné par l’excellent Alexandre Landry, lance le film en expliquant que « L’intelligence est un handicap »… L’histoire tourne autour de deux sacs remplis d’argent qui lui tombent dessus que trois malfaiteurs abandonnent suite à un braquage qui a mal tourné. Tout le sujet de ce chef d’œuvre demeure dans l’utilisation de cet argent facile qui arrive dans les mains de ce livreur de 36 ans. Que va faire cet intello altruiste des millions de dollars qui se trouvent à ses pieds, lui qui d’ordinaire dépense ses propres économies pour aider les SDF montréalais… ? Vont-ils faire basculer l’homme aux valeurs humaines et à l’intelligence supérieure… ? Comment Pierre-Paul va-t-il gérer sa nouvelle vie ? Ce film tourne autour de sa rencontre, tout aussi inattendue que surprenante, avec une somptueuse Escort Girl au corps magnifique, Camille Lafontaine dite Aspasie, jouée par la sublime Maripier Morin, et le ténébreux Sylvain Bigras, un ex-motard tout juste sorti de prison, incarné par le non moins excellent Remy Girard, l’un des acteurs fétiches du réalisateur. Le scénario apporte une idée de génie à ce trio pour nous emporter vers un polar très particulier. Sylvain qui a suivi des cours d’économie pendant son incarcération offre des solutions aussi éblouissantes qu’ingénieuses pour gérer cet argent sale…

Si l’intrigue va bien plus loin, le jeu d’acteur se révèle époustouflant et le tapis de sentiments sur lequel se déroule ce long métrage demeure éblouissant. L’écriture de ce chef d’œuvre est provocante et coupée au cordeau. Elle est teintée d’un humour québécois gouleyant pour ceux qui aiment notre si belle province lointaine. L’alchimie que trouve le réalisateur sert de prétextes à une attaque en bonne et due forme du système qui corrompt le bonheur de l’humanité. Si le réalisateur explique son point de vue dans ce film, c’est bien dans les Interviews qu’il apporte les précisions bien plus lucides afin de mieux comprendre son œuvre « Je pense que l’argent n’a pas corrompu. L’argent a gagné par défaut, parce que tout le reste a disparu (…) le fric devient omniprésent parce qu’il n’y a plus rien d’autre. » Si l’argent ne fait pas le bonheur, mais il y contribue dit-on, pour l’avoir expérimenté, il peut tout autant participer à son propre malheur… Avoir de l’argent sans amour ne rendra jamais heureux, alors que le contraire peut parfaitement égayer une existence… Certes, si l’on combine les deux, le bonheur devient plus facile… Cependant, la grande question demeure « Est-ce possible d’avoir les deux ? » Il parait que peu y arrivent et n’est-ce pas rassurant finalement ?

Le thème de l’argent reste difficile, mais peu importe Denys Arcand aime les sujets épineux et le réalisateur choisit même ses films en fonction de la difficulté des thèmes abordés. Pour lui, seul compte sa liberté d’expression, sans aucun tabou ni la moindre pression… Et ses propos dans le Journal de Montréal saisissent bien l’approche du réalisateur « Je voulais tourner un film pour le Fun et de le faire comme quand j’ai commencé à faire du cinéma. » Ce portrait de la société que Denys Arcand met en lumière dans « La chute de l’empire américain » et tous les problèmes que l’artiste décrit doivent nous ouvrir à la réflexion de la place que doit prendre l’argent dans nos existences. L’espace que l’Homme doit lui consacrer sans se perdre ni perdre son âme…

Certes, les mauvaises langues disent que ce film est arrogant et que la pensée de Denys Arcand s’avère ringarde, mais au moins le réalisateur tente de faire avancer l’humanité. Et n’est-ce pas là son devoir d’artiste que d’apporter sa pierre à l’édifice ? Alors oui, comme le prétend l’un des journalistes de l’excellent Québec.HuffingtonPost.ca, « Depuis « Les invasions barbares », le réalisateur québécois fait du sur place, répétant les mêmes discours, partageant la même vision intransigeante de l’état du monde et de l’Humanité par l’entremise des méthodes qui ont souvent fait leur temps… » Mais ce rédacteur québécois dirait-il la même chose pour la sortie du énième « Star Wars épisode 4012 » ou « Rocky Balboa/Creed 3854 » ?

Ce que lâche Denys Arcand dans ses œuvres n’est que le triste reflet de la société actuelle, n’en déplaise à certains ! Denys Arcand se répète, c’est que probablement les décideurs des grandes entreprises et les prétendus dirigeants de ce monde bling-bling continuent à se servir allègrement au détriment d’un peuple qui n’en peut plus, et que les messages bienveillants des âmes poètes ou penseurs ne sont pas entendus et encore moins écoutées… Messieurs les décideurs, commencez par changer pour métamorphoser notre monde à tous et ainsi les artistes n’auront probablement plus besoin de consacrer leur art afin de tenter de réveiller les consciences, ou de bousculer votre pouvoir. Un pouvoir que vous utilisez pour maintenir la société sous votre joug…

Avec cette comédie dramatique ou ce drame comique, et même si ce long métrage ne peut être parfait, le spectateur va rire, il va aussi pleurer, il va soupirer, mais il ne regrettera jamais d’avoir contribué à l’avancement d’une société malade qui cherche comme elle le peut à tenter de panser ses cicatrises, de soulager ses peurs, d’ouvrir son cœur et de s’atteler à offrir le meilleur de soi en toutes circonstances. Denys Arcand se trouve là sur notre route pour transmettre une vision de cette société capitaliste et de ses turpitudes amenant ses conséquences sur l’humain. La sienne, à vous de vous faire la vôtre…
Texte : Carlos Sancho.

Encadré 1 : Une pluie de récompenses…

« Le Déclin de l’empire américain »

Prix Génie (Récompense canadienne – l’équivalent des César)

1987 Meilleur film

1987 Meilleur réalisateur

1987 Meilleur scénario original

1987 Bobine d’or

Au Festival de Cannes

1986 Prix Fipresci

« Jésus de Montréal »

Prix Génie (Récompense canadienne – l’équivalent des César)

1990 Meilleur film

1990 Meilleur réalisateur

1990 Meilleur scénario original

1990 Bobine d’or

Au Festival de Cannes

1989 : Prix spécial du Jury

« Les Invasion barbares »

Aux Oscars de Los Angeles :

2004 : Oscar du Meilleur film en langue étrangère.

Au César à Paris

2004 César du meilleur film

2004 César du meilleur scénario original ou adaptation

2004 César du meilleur réalisateur

Au Festival de Cannes

2003 Prix du meilleur scénario

Prix Jutra (Récompense québécoise – l’équivalent des César)

2004 Meilleur film

2004 Meilleur réalisateur

2004 Meilleur scénario

2004 Film s’étant le plus illustré à l’extérieur du Québec

2005 Film s’étant le plus illustré à l’extérieur du Québec

En Italie

Prix David Donatello 2004 Meilleur film étranger

Prix Génie (Récompense canadienne – l’équivalent des César)

2004 Meilleur film

2004 Meilleur réalisateur

2004 Meilleur scénario

Encadré 2 : Les célèbres récompenses du cinéaste à titre personnelle

1988 – Officier de l’ordre du Canada

1990 – Liste des Grands Montréalais

2000 – Chevalier de l’Ordre national du Québec

2003 – Membre de l’ ordre du Mérite

2004 – Membre de l’ordre des Arts et des Lettres

2004 – Allée des célébrités canadiennes

2005 – Compagnon de l’ordre du Canada

2015 – Compagnon de l’ordre des arts et des lettres du Québec

2016 – Commandeur de l’ordre de Montréal