Dans la roue de nos championnes !

Comme promis, nos deux aventurières du cœur nous emmènent dans leur Road Trip argentin. Dès qu’elles le peuvent, elles nous confient leurs expériences et les éventuels coups du sort. Eh oui, une compétition sportive reste une concurrence saine, même entre femmes. Laissons leur la parole, qui d’autres qu’elles peuvent le mieux nous faire partager leur expérience. C’est Christine qui s’y colle…


Mardi 25 avril : Première spéciale parcourue avec émerveillement. Les paysages de cette région de l’Argentine se révèlent somptueux. Je ne regrette pas tous ces mois d’efforts. Je suis grandement récompensée par ce que je vis en ce moment. Le jeu en valait vraiment la chandelle. Au total, 303 kilomètres parcourus jusqu’à plus de 3000 mètres d’altitude. Extraordinaire comme moment à vivre. Les yeux rivés sur le Trip Master (boîtier d’enregistrement des kilomètres) et les paysages plus gigantesques les uns que les autres. Nous découvrons avec bonheur les couleurs entre végétations vertes, brunes et roches rose des montagnes contrastant avec le bleu azur du ciel, notre regard scrute l’horizon à la recherche d’émeus (NDJ : L’émeu d’Australie est la seule espèce encore vivante de nos jours de la famille des dromaiidés. Pouvant atteindre deux mètres de haut, c’est aussi, par sa taille, le deuxième plus grand oiseau du monde actuel derrière les autruches) et de lamas…, nous avons vu seulement des vaches, des chèvres et des chiens qui ont croisés notre route. Pas le temps d’être déçue, la compétition ne fait que commencer, il me reste encore du temps pour satisfaire ma curiosité.


Revenons à la course en elle-même. Aujourd’hui, c’est une spéciale sans grandes difficultés de navigation que pilote Clémentine. Les objectifs demeurent clairs : suivre le Road Book, trois Check Point virtuels se trouvent dispersés sur notre parcours afin de vérifier qu’on ne s’en éloigne pas, sous peine de pénalités. Dans la réalité, et c’est ce qui est assez rassurant, peu de hors piste pour cette première, mais nous parcourons quelques kilomètres au cœur d’un rio. Les heures défilent et le plaisir augmente. Nous arrivons au dernier Check Point, celui de l’arrivée. Nous le passons vers 16h… J’aurais bien aimé que le temps se suspende et que nous puissions continuer à rouler avec un tel panorama. Le commissaire nous indique que nous sommes les premières à passer avec 169,7 kilomètres pour 168,4 ; 1,3 km de plus au compteur. Nous sommes Clémentine et moi plutôt satisfaites de notre première journée. Il faut néanmoins attendre le classement définitif pour connaître notre résultat. Rappelons-le, le Rallye des Andes reste une compétition dans laquelle la notion de vitesse, donc de temps, n’est pas retenue.


Cependant, même si notre plaisir à concourir dans cette course s’avère total, la journée ne se révéla pas que resplendissante. Je reviens sur une petite anecdote qui nous a beaucoup amusée Clémentine et moi, une fois la course achevée. Sur la route de liaison qui nous amène à Cafayate, Clémentine respecte scrupuleusement les limitations de vitesse et le code de la route argentin, contrairement aux autochtones. La police locale tout au long du parcours veille sur nous. Un brin rassurant finalement. Nous passons devant un véhicule de police stationné sur le bas côté. Très rapidement, nous voyons dans le rétro qu’il tente de nous rejoindre avec son gyrophare en marche. La police nous suit… Pourquoi ? L’attitude des agents deviendrait-elle moins sympathique que celle que nous avions jusqu’alors ? Nous ressentons un petit stress, qu’avons-nous fait comme erreur ? Voilà que la voiture de police nous dépasse. Un peu plus loin, les deux policiers se rabattent devant nous. Ils se garent sur le bas côté avec les feux de détresse allumés. Les agents sortent du véhicule. Là, c’est certain, il se passe quelque chose. On voit le geste du bras du policier conduisant sa voiture qui nous invite à nous garer pour un contrôle… Je me dis que je vais laisser Clémentine gérer cette intervention, elle se trouve au volant et surtout, elle parle espagnol…, moi pas ! Là, les deux agents nous incitent à poursuivre notre route. Nous comprenons alors que leur motivation était simple : prendre leur téléphone portable et filmer notre passage… Ils désiraient juste avoir un souvenir de notre traversée. Finalement, nous avons eu peur pour rien. Clémentine m’explique qu’ils devaient simplement être curieux de voir deux filles dans une telle voiture, concourant dans un Rallye à travers un désert parfois hostile.


Ce Road Trip s’avère très excitant et riche. Lorsque je repense à notre journée, je me sens heureuse et comblée. Nous sommes parties ce matin de Salta sous les nuages, en direction de Cafayate au creux d’une vallée verdoyante, et chaque minute de mes rêves s’est transformée en réalité. Quel bonheur. Nous découvrons ici une autre vie et d’autres décors que ceux qui ornent mon quotidien. Notre route ici se révèle bordée de commerces locaux tous typiques, d’échoppes toutes aussi singulières les unes que les autres, …Il est amusant de voir des enfants en uniforme se rendant à l’école…, cela fait une éternité que je n’en avais pas vu en France. Je ressens vraiment ce dépaysement entre les deux pays. Cependant, à aucun moment nous en loupant une seule miette. Vient le moment où, suivant les instructions de notre Road Book, nous quittons la route pour les pistes terreuses qui s’élèvent dans les montagnes aux flancs recouverts de cactus géants. Avec le paysage que nous traversons, c’est sur, nous sommes très loin de chez nous, et c’est un véritable privilège de vivre cela ! Notre parcours nous conduit dans un parc naturel. C’est superbe. Mais attention, il y a des consignes à respecter scrupuleusement ici. Il ne faut pas plaisanter avec les lois en Argentine. Les autorités autorisent la traversée de certains parcs nationaux par le Rallye, mais nous n’avons pas le droit de quitter les pistes, sinon… Nous risquons des représailles nous éliminant définitivement de notre Rallye.


En attendant notre classement, nous avons poursuivi nos obligations. S’en suivent alors, la logistique de préparation pour la suite des événements : Le plein d’essence, monter la tente dans laquelle nous allons passer notre première nuit sous les étoiles, et passer le véhicule au pôle mécanique. C’est là que notre surprise fut grande et le bonheur encore davantage : le loueur a dépêché une équipe locale de mécanos afin de réviser leurs véhicules. Génial comme idée…!


Néanmoins, les argentins étant un peuple latin, n’oublions pas leur côté parfois un peu macho, leur démarche certes à priori très appréciable, m’amène une question qui me taraude : Des pilotes féminines conduisant leurs véhicules, ne nous feraient-ils pas assez confiance pour s’occuper elles-mêmes des vérifications quotidiennes ??? Résultat, ils nous ont été bien utiles, le 4X4 dispose d’un pneu endommagé par un clou, ou une vis, que l’on a dû choper je ne sais où. Du coup, direction la Gomeria afin de le réparer au plus vite. Enfin, après une éternité d’attente, les résultats tombent : pour notre première Spéciale, nous sommes classées 20ème sur 30 équipages. Notre kilométrage de référence se situe à 209,74 km, alors que la première équipe, il s’ acte à 208,14 km. Dix-neuf places nous séparent pour à peine 1,61 km… Allez courage, c’est rattrapable !

Puis, après une journée forte en émotion, vient le temps de la détente. Nous voilà parties pour une dégustation de vin argentin et quelques « Empanadas », moi qui pensais ne goûter le vin argentin qu’à la fin de la compétition… ! Allez, il est temps pour nous d’aller nous reposer car la suite de la compétition nous réserve d’autres émotions, et pas forcément que des joies.


Mercredi 26 : La nuit fut courte : levées à 5 heures pour une deuxième journée sportive que je n’imaginais pas avec tant de galères… Peu importe, nous ne sommes pas du genre à traîner et à nous laisser déborder par les caprices de l’existence. Nous quittons heureuses le camping de Cafayate où nous avons passé la nuit sous notre tente. Nous voilà prêtes sur la ligne de départ. En raison de notre classement assez moyen, nous partons en 20ème position. Pas le meilleur des démarrages, mais une seule règle : le départ s’effectue en fonction de l’ordre du classement général. L’important demeure de toujours nous trouver sur la ligne de départ…


La deuxième journée peut commencer. Cette fois, c’est moi qui conduis et Clémentine qui est ma copilote. Une autre façon de vivre ce rallye. Nous avalons les premiers kilomètres d’asphalte et nous sommes excitées par ce qui nous attend. Nous empruntons la première piste de terre. Je stoppe la voiture et j’adapte ma conduite au terrain en passant notre Chevrolet en 4 roues motrices, vitesses longues, et me voilà repartie tranquille à « manger » la piste. Exquis ce moment. Je ressens une très forte émotion à piloter aujourd’hui.


La route est glissante. Lancée à 50 kilomètres/heure, notre journée va prendre une tournure préoccupante. Alors que tout se passait à merveille, je perds l’adhérence au sol et par réflexe, je freine. Là, notre bolide se promène comme sur une patinoire. « Im-po-ssi-ble » d’en reprendre le contrôle. Il glisse sur le bas côté droit de la piste en travers sans que je puisse réagir. Vient s’arrêter sur flanc latéral droit contre une butte tel un culbuto que nous nous prenons sur le flanc gauche. Heureusement que cela s’est passé ainsi. J’ai eu la peur de ma vie… Merci la butte, sans toi, nous aurions fait plusieurs tonneaux, et Dieu seul sait ce qui aurait pu nous arriver !


Une fois l’engin stabilisé, première inquiétude : l’une de nous a-t-elle des blessures ? Cette pensée m’obsède… Et si j’avais gravement accidenté Clémentine ? « Ouf », toutes les deux nous nous rassurons, nous n’avons rien, Dieu merci. Nous sortons du véhicule, en faisons le tour… Et merde, le constat nous accable ! Notre bolide se trouve endommagé : tôle froissée, rétroviseur explosé, 2 pneus droits déjantés et un troisième à plat…. Sans hésitation, j’applique les règles dans ce genre de situations : je déclenche la balise de détresse mécanique et médicale. Les équipes de secours nous rejoignent très rapidement. C’est dans ces moments-là que nous constatons que l’organisation prend vraiment soin de leurs pilotes et que nous pouvons nous sentir rassurées et entre de bonnes mains.


Nous, nous laissons porter par les professionnels. Pendant que les mécanos auscultent le troisième membre de l’équipage 34, le médecin s’inquiète de notre état physique et mental. Les mesures d’urgence dans ces moments là se trouvent impeccables. Si nos corps vont bien, je suis triste et en colère pour ma coéquipière. Je prends conscience que son aventure va peut-être s’arrêter ici par ce stupide accident que je n’ai pas su éviter. Du côté de l’organisation, le personnel tente de nous rassurer pour nous faire déstresser. Côté mécanique, il n’y a heureusement rien de grave… Nous apprenons que les pneus ne sont pas éclatés, les jantes sont intactes, et les mécanos vont pouvoir réparer sur place… Notre seule inquiétude reste le moteur, la direction, les éclairages… S’ils sont touchés, cela signifie que nous avons fini avec notre rêve. Je suis anxieuse. J’imagine le pire et je redoute ma réaction si tout devait s’arrêter à cause de moi.


Tous les « méca », comme on les appelle sur le Rallye, se relaient pour remettre sur pied le véhicule. Je les admire faire leur Job comme ils le font, même si pour le moment, nous ignorons ce qu’il en adviendra. Ils savent l’importance pour nous d’aller au bout, de ne pas abandonner… Ils nous rassurent. Et Dieu sait que cette tâche n’est pas la plus simple pour eux… Au final, ils se révèlent performants, efficaces : en une heure, nous pouvons reprendre la course après d’ultimes recommandations du toubib sur des symptômes post-traumatiques… L’émotion se révèle trop forte, je suis tellement soulagée que j’en tremble. Nous repartons avec les conseils des médecins dans un coin de nos têtes, mais finalement, que nenni, rien de tout cela n’est apparu dans les heures suivantes.


Avec philosophie, nous décidons de profiter du restant de la journée. Je vous rappelle que nous sommes venues ici pour vivre des moments de fortes émotions et vivre des instants extraordinaires. Nous savions que tout cela aurait un prix. Mais tant pis, pour l’imprévu mécanique qui va encore grever notre budget, nous verrons cela plus tard. L’important aujourd’hui demeure de vivre notre aventure tant rêvée. Celle que préparée depuis des mois, des années. L’essentiel est que nous soyons saines et sauves.


Notre périple continue et nous reprenons le dessus sur les craintes ou les autres déconvenues possibles. Nous traversons avec joie de beaux paysages qui nous attendent encore aujourd’hui… Nous n’imaginions pas que nous vivrions d’autres galères… Ah la vie et ses surprises ! En effet, après avoir avancé d’une trentaine de kilomètres, nous crevons la roue avant gauche…, et pour finir une erreur de navigation nous a fait parcourir 15 kilomètres de plus… ! Quelle journée !


Vu le nombre de pénalités que nous avons accumulées depuis le début de cette matinée, on n’en est plus à une galère près ! Clémentine et moi finissons par en rire. Sérieusement, il y a des jours où quand cela ne veut pas, cela ne veut vraiment pas ! Le mauvais sort s’acharne, mais il ne nous démoralise pas. Même pas peur, Clémentine et moi sommes tellement résistantes face aux épreuves depuis que nous nous connaissons que nous ne nous laissons pas démonter par ces mauvais coups du sort. Cependant, cette journée, on s’en rappellera plus tard et nous en rirons de bon cœur lorsque nous serons rentrés chez nous.

Pour le moment, seule la fascination que nous ressentons face à la beauté des terres argentines se trouvant au rendez-vous nous subjugue. La journée ne se révèle pas encore finie et nous continuons à nous émerveiller. Même dans une journée aussi catastrophique, nous parvenons à jouir de la vie et de ce qu’elle nous offre. En réalité, une fois arrivées, et soulagées d’être saines et sauves, nous ne pensons qu’aux merveilles que nous avons vécues.


Nous avons gravi les montagnes jusqu’à 5000 mètres, rencontré des lamas, et une fois dans le village de San Antonio de las Corbres, nous avons pu remettre nos dons aux enfants aux regards pétillants du pensionnat qui nous attendaient et nous ont organisé une soirée d’accueil et de bienvenue. Chaque enfant a reçu un doudou et plein d’autres présents qu’ils pourront se prêter. Le regard de ces enfants qui nous observent comme si nous étions des anges, le Père Noël ou que sais-je encore nous remplit de joie. Voir des enfants à qui nous donnons le sourire et le plaisir d’être gâtés comme des enfants normaux n’a pas d’équivalent. J’ai l’impression dans ces moments-là que notre périple prend alors tout son sens et que tous les pépins mécaniques n’ont aucune valeur face aux sourires des enfants et à la joie que nous leur procurons. Donner du bonheur avant d’en prendre, une philosophie qui me correspond et que je ne cesse de mettre en pratique dès que je le peux autour de moi. Nous n’avons qu’une vie, alors si c’est pour la passer égoïstement, c’est le meilleur moyen de la perdre ou de passer à côté des joies et des plaisirs les plus élémentaires.
Texte : Christine Sentenac, co-écrit avec Carlos Sancho (et la coordination), images : Organisation/DR