À la poursuite du Graal argentin qui mène à la ligne d’arrivée.

Que d’émotions pour une course à l’autre bout du monde. Ces soixante filles extraordinaires nous étonnent. Chaque femme de l’équipage déploie toute son énergie afin de retrouver une partie d’elle-même qui se cache si subtilement au fond de leur âme… Ces sportives puisent jusqu’au bout de leurs forces afin de se défaire d’un carcan quotidien qui les étouffe trop parfois. Si elles se sont engagées dans une telle épreuve humaine, c’est qu’elles ne sont pas prêtes à fuir devant l’adversité sans faire le plein d’adrénaline à l’autre bout du monde. Et justement, nos représentantes, Christine et Clémentine, n’ont pas encore épuisé leur réserve d’adrénaline. Après leur journée de la veille qui aurait pu tourner au drame, elles se remontent une nouvelle fois les manches afin d’affronter les trois dernières étapes qui restent à surmonter… En espérant que les aléas de l’existence soient plus souriants pour elles… Quel courage ces petits bouts de femmes… Les voilà reparties dans l’enfer du désert Argentin. Nous leur souhaitons bonne chance et surtout qu’elles continuent l’aventure avec autant d’élan et de bonheur qu’elles en avaient avant leur accident. Les jours se suivent et ne se ressemblent pas, dit-on. Enfin, presque… Laissons-les, nos sportives du cœur nous emmener de nouveau dans leur voyage initiatique à travers le désert hostile d’Argentine… !


Le 27 avril : Le retour des battantes.
Je ne suis pas prête d’oublier notre soirée de la veille…. La fête avec les enfants fut admirable et pleine d’émotions positives fortes, cela m’a changé de la journée et de l’accident qui est encore dans ma mémoire. Pendant que les familles, voisins, amis s’entassent sur des bancs de fortune pour voir la scène superbement décorée, une ribambelle d’enfants l’envahit et se lance dans le récit de poèmes en espagnol. Même si je ne comprends pas un seul mot de ce qu’ils disent, je perçois l’émotion que ces bambins tentent de nous transmettre. Je suis émue par leur générosité. Mais, nous ne sommes pas au bout de nos surprises. S’en suivent des danses folkloriques Argentines et Paraguayennes puisqu’une des élèves du pensionnat en est originaire. Elles sont magnifiques et là, mon faible niveau d’espagnol ne me pénalise pas. Dans la continuité de cette sublime fête, c’est armé d’une guitare qu’un des membres de l’organisation du Rallye s’installe à son tour sur la scène. L’idée du partage se trouve bien là entre les peuples. Notre français entonne un morceau de Beatles « Hey Jude » dont les « chabadabadas » sont repris en chœur par les Roses. Petit à petit, je me remets des émotions négatives qui se sont accumulées en moi durant la journée. Pendant que nous écoutons la reprise des Beatles, du café, thé maté et des galettes de maïs sont offerts avec bienveillance aux spectateurs. En signe de remerciement des dons remis et que les enfants ont reçus avec un sourire béat, les responsables de l’association argentine nous offrent une petite broche artisanale qu’elles nous épinglent sur le cœur de chacune de nous. Ce moment s’avère poignant pour toutes les Roses.

Après la magnifique soirée « de fin de cérémonie », il faut penser à dormir. La journée fut difficile pour nous toutes. Les participantes du Trophée Roses des Andes déplient leurs matelas et duvets à même le sol d’une salle de classe ou elles passeront la nuit. Pour Clémentine et moi, l’équipage 34, ce sera différent. L’accident qui me hante encore un peu, la crevaison, l’erreur de navigation qui nous a encore fait perdre plus de temps, le contrôle tardif au pôle mécanique – en raison de la soirée au pensionnat -, la fatigue accumulée et le vent glacial ont eu raison de nous…. Nous avions repéré en arrivant à la soirée associative un hôtel où l’on décide de tenter notre chance. C’est aussi l’établissement où sont logés les membres de l’organisation. Ils sont d’ailleurs accoudés au bar lorsque nous entrons. Tant pis… Dans l’état dans lequel je me trouve, je ne vais pas faire la fine bouche. Il m’est ce soir-là impossible de passer une nuit ailleurs que dans un vrai lit après ce que nous avons subi Clémentine et moi. Alors cet hôtel, avec les organisateurs ou pas, je m’en fiche, nous tentons de trouver une chambre pour nous. La bonne nouvelle demeure qu’en prime, j’aurai du WiFi pour téléphoner à mon compagnon. Cela me réconfortera d’entendre sa voix, et j’en ai bien besoin… Nous passons la porte et nous demandons, en espagnol, « una habitation por favor ? » La réponse de la réceptionniste est sans appel : complet (on aurait pu s’en douter)… Décidément, ce n’est vraiment pas notre journée.

Déçues, nous remontons dans la voiture afin de trouver un autre point de chute. Il fait nuit et froid. Dans notre état, nous décidons que nous dormirions dans la voiture… Il est tard, nous sommes trop fatiguées. Nous n’avons même plus l’énergie nécessaire pour vider la voiture et attraper notre matériel de camping… Heureusement qu’il nous reste encore une lueur d’énergie qui nous pousse une dernière fois à nous lancer dans l’ultime tentative de nous offrir un coin paisible pour notre nuit. Nous faisons alors demi-tour sur le parking de l’hôtel pour aller nous réfugier dans un endroit tranquille quand un membre de l’organisation à l’accent toulousain, qui a suivi toutes nos péripéties de la journée vient à notre rencontre et nous sauve la mise. « Vous cherchez un hôtel les filles, nous demande-t-il ? Suivez moi, je vais vous aider à trouver une chambre ». Presque à bout de force, nous le suivons, mais toutes les portes se ferment. Nous commençons à désespérer. Il propose une dernière tentative. Ouf, il reste une chambre avec 4 couchages déjà réservés par un autre équipage. Notre ange gardien du sud-ouest négocie pour nous. Il sait y faire puisqu’il vit en Argentine depuis plusieurs années et a su comprendre les règles du pays. Notre sauveur fait valoir notre sale journée et insiste pour que la chambre nous soit attribuée en priorité. L’aubergiste se trouve ennuyé, mais on trouve une solution. Quatre couchages, il propose un partage de chambre, on accepte de la partager sans aucun problème. Dans notre état, il faut bien avouer que c’est bien mieux que de dormir dans le 4X4… C’est ainsi nous avons pu nous prélasser sous une douche chaude et nous reposer dans un lit que nous avons trouvé moelleux… Il faut bien profiter des petits plaisirs du jour, car nous ne savons pas ce que l’avenir nous réservera.

Au réveil, nous rejoignons les autres Roses et leurs bolides. Je ne suis pas au bout de mes peines. Je vais vivre d’autres expériences encore plus déprimantes que celle de l’accident de la veille… Nous voilà reparties sur la route et prêtes pour cette troisième journée de compétition, celle-ci avec en point culminant : une course à plus de 5000 mètres d’altitude. C’est Clémentine qui pilote aujourd’hui. J’avoue que cela tombe bien et vous comprendrez bien vite pourquoi… L’empressement avant le départ qui m’agite augmente mon malaise, amplifie mes nausées. Si cela continue, je crois bien que je vais arriver au bout de ma vie avant même de franchir la ligne de départ… J’ai froid. Je tremble de partout. Cette journée qui démarre ainsi s’avère de loin la plus désagréable pour moi. En tous les cas, je la vis ainsi. J’en oublie presque l’accident de la veille tellement je me sens mal dans la voiture. Du coup, quand tout va de travers, grâce à mes pensées, je me réfugie là ou je suis certaine de trouver du réconfort. Je pense alors à la chaleur des bras de mon amoureux et sa présence qui me manquent de plus en plus. Je me mets à espérer qu’ils me réchauffent à distance… Ne riez pas, la méthode Coué peut dans ces moments-là avoir du bon… En tous les cas, dans cet instant douloureux, je prends bien conscience qu’elle a ses limites. Mon amoureux n’étant donc pas à mes côtés pour que je me blottisse contre lui, je demande l’aide du médecin. On se rabat sur ce que l’on a sous la main… Bon d’accord, je ne perds pas complètement au change. La médecin saura bien mieux me soigner le corps que mon amoureux… La compétition n’a pas encore commencé et Corinne, urgentiste dans un hôpital français, m’offre du repos dans un « VRAI » lit douillet. Oui, mais juste pour quelques minutes, le temps que toutes les participantes se trouvent de nouveau sur la ligne de départ. C’est déjà cela… Dans un tel moment, il faut bien l’avouer, je lui en suis très reconnaissante. Me voilà enfin avec un peu de répit, de l’oxygène dont je sens que j’en ai plus que besoin, de l’aspirine, un anti vomitif afin de tenter de calmer toutes ces terribles péripéties que je subis. Je plonge alors dans les bras de Morphée. Là encore, ce ne sont pas ceux de mon compagnon, mais ceux de Morphée se révèlent les bienvenus quand même…

C’est le moment tant attendu. Tous les 4×4 se trouvent déjà sous l’arche de départ quand Clémentine et Corinne viennent me sortir de mon sommeil. « Allez, il faut y aller, me lance Clémentine« . « Déjà ? », je lui réponds. Je ne joue pas la Caliméro de service, mais j’avoue que je serai bien restée encore un peu avec le beau Morphée« Non, chéri, ne sois pas trop jaloux, Morphée est mon produit de substitution en attendant de te retrouver… » Sans mot dire, je prends alors la place de la navigatrice. Nous avions décidé d’alterner chaque jour le poste de pilote et de navigatrice. L’air s’avère toujours aussi glacial. J’ai encore froid. Je tremble toujours autant. La situation se révèle franchement dure-dure ! Tant pis, je prends sur moi et je remonte dans notre bolide. Je refuse d’abandonner la course et ma coéquipière. C’est en pensant à cela que je trouve la force de me remotiver…

Nous voilà de nouveau sur la route. Les premiers kilomètres avalés, on se retrouve rapidement hors piste, dans une zone ensablée. Nous appliquons le franchissement en 4×4 cours et il n’est pas question de s’arrêter au risque de se « tanquer » -s’ensabler-. Les ennuis reviennent : je penche ma tête par la fenêtre et je soulage mon estomac vide pendant que Clémentine continue de rouler… Je décore le paysage de la plus désagréable des façons… Clémentine me voyant en peine a pitié de moi. Après quelques longues minutes, enfin elles me semblent si longues, mon amie finit par trouver un bout de terrain stable. Clémentine s’arrête afin que je sorte de la voiture, il était temps que j’aille rendre tout ce que j’avais dans mes entrailles. Je me sens dans un état pitoyable, mais là encore, je refuse de me laisser abattre. Je me demande comment je vais finir ma journée. Mais après autant de désagréments, heureusement, ma bonne étoile semble revenir. Nous n’en espérions pas tant. Nous sommes rapidement rattrapées par un véhicule de commissaire de course, suivi du médecin qui semblait me suivre à distance après ce que nous avions vécu la veille. Corinne se précipite sur moi, ma sauveuse se tient près de moi ! Prise de tension, d’air frais… Me voilà repartie dans une tension et un tourbillon qui m’inquiètent… Je sombre. J’ai l’impression que le mauvais sort s’acharne, la fatigue m’assomme. Cependant, il me suffit de regarder Clémentine pour reprendre des forces et lui dire que je désire continuer. Je lui fais comprendre que je n’abandonnerai pas. Il m’en faut bien davantage pour quitter la course. Je suis venue pour ça et je ne repartirai pas sans aller au bout de notre périple. Je suis sur ces terres argentines pour aller au bout de moi, et à ce moment-là, je sais que je n’y suis pas encore. Donc, je continue le Rallye. Clémentine va me permettre de vivre la suite de la course le mieux possible. Dès que la progression de la journée nous le permet, je pique du nez. Ces somnolences me font un peu de bien. Néanmoins, lorsque Clémentine a besoin de moi, elle me réveille afin que je lui transmette les instructions à suivre. Nous n’en oublions pas notre compétition et notre défi envers nous-mêmes.

Heureusement que même dans les moments les plus difficiles, nous en trouvons d’autres qui nous ravissent terriblement. Nous traversons des paysages montagneux entre 3500 et 4000 mètres et nous en sommes au quatrième pneu que nous venons de crever. Décidément !!! Peu importe, le pays que nous traversons se révèle magnifique. La végétation se révèle rare sur ces terres, mais les couleurs s’avèrent magnifiques. On découvre duvert, rouge, ocre, rose, jaune…. Quelle magnificence. Je revis. Je commence à apercevoir de plus en plus de moments magiques… C’est bon signe. Nous croisons désormais des troupeaux de lamas, et même des émeux. C’est « simplement » beau et magique. J’avoue que j’aurai été déçue de repartir sans jamais en croiser un seul… Après autant de belles images qui défilent devant mes yeux, je sais que certaines resteront gravées à jamais dans ma mémoire. Seule contrariété, vu mon état de santé de la journée, je n’ai pas pris de photos aujourd’hui. Je n’en avais absolument pas la force. Peu importe, je sais que Clémentine et d’autres participantes m’en donneront. Nous avons créé un vrai groupe de filles unies et nous savons que nous pouvons compter toutes les unes sur les autres, y compris pour les échanges de photos. Quel luxe de savoir que ces relations entre filles constituent notre réalité. Vraiment.

Nous voilà arrivées à la fin de notre compétition du jour. Nous sommes les premières à passer sous l’arche d’arrivée avec 700 mètres de plus par rapport au Road Book. Cela risque de nous coûter cher encore. Du coup, après toutes ces péripéties depuis le début de notre Rallye, Clémentine et moi, nous pointons à la dernière place du classement. Nous passons en une journée de la 20ème à la 30ème. Normal, avec les 400 points de pénalités que nous avons accumulés pour avoir évolué en hors-piste imposé, nous ne pouvions nous attendre à des miracles. Cependant, au vu de notre journée, il faut savoir positiver. Au regard de notre quête initiale, et des épreuves que nous espérions bien y trouver, nous avons gagné le bonheur de vivre cette aventure ici. Aussi compliquée soit-elle ! Je garderai cette journée comme une véritable victoire sur moi.

Comme à chaque fin d’étapes, nous nous retrouvons entre nous pour vivre d’autres moments toujours aussi riches et stimulants. Ce soir-là, n’échappe pas à la règle. Mais, même là, avouons-le, cela ne va pas être aussi simple. Alors que nous devions monter notre tente à près de 4000 mètres d’altitude, à Pastos Chicos, une tempête a littéralement balayé le village. Eh oui, les contrariétés se succèdent et nous laisse impuissantes devant la nature… Mais, quand on aime, on ne compte pas, dit-on. Du coup, entre l’organisation et les Roses, nous nous sommes rendus à l’évidence : Il nous faut trouver un plan B. La succession de désagréments finit par nous faire sourire Clémentine et moi. La solution s’est imposée naturellement. Après un dîner frugal, et heureusement qu’il le fut, nous avons poussé les tables dans la salle du restaurant afin de la transformer en dortoir collectif pour 60 Roses exténuées. Mais n’allons pas trop vite nous coucher. Avant de dormir, nous avons la soirée qui nous a été offerte et qui restera gravée dans nos mémoires. Surtout la mienne… On ne va pas se laisser abattre par une tempête… Nous assistons à un spectacle musical traditionnel qui nous est présenté par les habitants de la bourgade. L’orchestre du village a interprété des chansons locales à la flûte de pan. Certains musiciens et danseurs sont habillés de leurs tenues folkloriques. Nous dégustons chaque instant de la soirée avant de filer pour nous blottir dans nos duvets.

Je cherche à rejoindre Morphée. Alors que nous sommes déjà explosées de fatigue, des incommodités supplémentaires nous empêchent de dormir : lumière vive, bruit infernal du chauffage, son de la télévision que personne n’a pensé à éteindre, maux de tête qui résonnent en moi, fréquentes nausées qui me réveillent … Avec cet épisode épique, serait-ce la fin de nos galères… ? Non, cela aurait été trop beau. Résultat, ma nuit à été courte et peu, voire, pas vraiment reposante du tout.
Texte : Christine Sentenac, co-écrit avec Carlos Sancho (Coordinateur), images : Christine Sentenac et L’organisation Libre de droits.