Les journée se suivent et ne se ressemblent pas. Un Rallye, aussi fou soit-il, c’est l’occasion pour chacun de vivre d’intenses émotions, mais pas seulement. Il y aura toujours ceux qui les réalisent et ceux qui n’osent pas. Là encore, il n’y a que ceux qui y participent qui peuvent en parler et nous transmettre les moments les plus passionnels de leur aventure. Laissons leur donc le soin de continuer de nous raconter ce voyage que Christine et Clémentine ont su jusqu’à maintenant nous faire partager. Avec sincérité et passion.


Le 28 avril : L’étape marathon !
Comme son nom l’indique, cette étape s’avère différente des autres : elle est plus longue et plus pénible. En effet, il s’agit de parcourir plus de 360 kilomètres en deux jours avec des difficultés supplémentaires. L’organisation suivra notre géolocalisation par satellite et n’interviendra pas pour la logistique. C’est en cela que cela devient plus ardu pour nous. Il n’y aura pas de pôle mécanique, sauf bien entendu sur déclenchement de balises avec les fameux boutons rouge et jaune. Dans cette étape, nous devons être entièrement autonomes. À nous de veiller à notre carburant, d’organiser correctement nos repas et nos couchages. Pour ce dernier point, nous avons eu écho qu’un des villages sur le tracé du Rallye nous attendait pour nous offrir l’hospitalité. Les équipages conviennent de s’y retrouver avant la nuit. Autre point de cette étape de deux jours : le règlement interdit strictement de rouler la nuit, sous peine de fortes pénalités. On ne joue pas avec la sécurité.


Nous nous levons à 5h30 (10 heures 30 heures françaises). Il fait une température à ne pas mettre le nez dehors : -7°C. Sans sommeil, cette température semble s’approcher d’un bon -50 pour mon corps épuisé… Je prends mon mal en patience et continue à me concentrer sur ce qu’il y a à faire. N’étant pas venues en Argentine pour nous faire bronzer et vivre une expérience en All Inclusive dans une superbe station balnéaire, nous nous attelons à notre première tâche… : faire chauffer les moteurs de nos bolides. Eh oui, sans eux, pas de course… J’espère que cette journée sera sous un signe plus clément et serein, soyons franches, ce ne serait pas du luxe. Malheureusement, la suite ne sera pas davantage une partie de plaisir pour moi…

Afin de nous motiver, le directeur de course nous promet une journée exceptionnelle : le bouquet final sous forme d’un feu d’artifice avec les paysages que nous allons pouvoir admirer tout au long de la journée. Il nous invite à en prendre plein les yeux, ne rien louper. Ce que j’avoue, je ne vais pas me gêner de faire.


Après une nouvelle nuit mouvementée, le temps est venu pour redémarrer la course. Départ en dernière position vue notre classement de San Antonio los Corbres. La bonne nouvelle : on ne peut que remonter dans le classement. Seconde bonne nouvelle : aujourd’hui, je ne souffre plus du mal de l’altitude. Enfin. Pour cette journée, je prends le volant. Notre altitude devient plus raisonnable, nous nous trouvons à 3335 mètres. Je vais retrouver mes marques. Nous voilà à plus de 300 kilomètres de notre ligne de départ, ce qui nous rapproche de la fin de l’étape marathon, déjà ! Je n’ai aucune envie que cela s’arrête et pourtant… Je me dis qu’il faut que nous en profitions à 10 000%. Il ne faut pas que je reparte d’Argentine avec le moindre regret…

Les kilomètres défilent. Nous devons en parcourir le plus possible avant la tombée de la nuit. Mais nous ne boudons pas notre plaisir, nous sommes chanceuses de vivre cette expérience. Nous traversons de formidables salars -lac de sel- et notamment le Salar Ricon en limite du Chili, le Salar Arizaro, le plus grand d’Argentine. Les magnifiques paysages se succèdent. Ils se révèlent tous aussi lunaires les uns que les autres. Une véritable terre de martiens qui me laisse bouche bée sur tout le parcours. D’admirables canyons me rappellent le Colorado. Et que dire de ce splendide lac du Salagou… Notre ascension nous conduit sur un sommet à 4650 mètres d’altitude. Elle nous offre une vision à 360° sur la Cordillère des Andes. La richesse de ce que nous avons le bonheur de contempler me transporte si loin. Je suis aux anges. J’aime la beauté de cette terre et la magie de ma vie. Je ressens un bonheur immense en traversant ainsi ce pays. C’est dans ces moments-là que je sais pourquoi j’ai décidé de faire ce Road Trip et de payer aussi cher dans tous les sens du terme une telle expérience.


Un peu plus tard, en début d’après-midi, nous faisons une halte sur le site de l’Ojo de Mar où trois petites vasques d’eaux limpides et turquoises abritent des micro-organismes à l’origine de la vie sur terre. Cette zone s’avère ultra protégée. Elle se trouve régulièrement visitée pas les scientifiques.

Les heures s’écoulent trop vite. Parties à 8h pour cette nouvelle étape, nous arrivons à 19h à Santa Rosa de Pastos Grandes. Quel superbe village. Les villageois ont mis à notre disposition un local afin d’installer nos duvets, nous passerons la nuit au chaud. Plus nous avançons, et finalement moins nous avons monté notre tente. Dans ces villages en hauteurs, heureusement que les habitants possèdent une hospitalité des plus cordiales. Si en pleine journée la température avoisine les 20 degrés, les nuits dans ce coin du monde s’avèrent plutôt glaciales avec -10, voire -15 degrés. Nous ne sommes pas au pôle Nord ni au pôle Sud, mais si on ferme les yeux, et que l’on s’en réfère à la température, on s’y croirait presque.

Ce soir, nous dormons dans ce petit village d’altitude, à 3942 m. Un endroit où les touristes n’arrivent que rarement… Lorsque l’on y est, on peut le comprendre. Je sens à cet instant la joie et l’aubaine que j’ai de partager ce privilège avec mes concurrentes, même si j’aurais préféré le vivre avec mon amoureux…

Cependant, je pense à mes concurrentes qui ne sont pas encore arrivées dans ce magnifique paradis et qui n’assisteront pas à la merveilleuse soirée que les Argentins nous ont préparée. La majorité des équipages a convenu de se retrouver au village de Santa Rosa de Pastos Grandes pour passer la nuit ensemble. Quatre équipages n’ont malheureusement pas réussi à rejoindre ce village et ont dû, à la nuit tombée, stopper leur évolution. Un équipage a déclenché sa balise pour être amené avec le groupe tandis que trois équipes ont campé dans la nature. Les retardataires camperont donc dans les montagnes pendant que d’autres chanteront et danseront. Si cette situation pour les trois équipages peut paraître incongrue, c’est que cela ne pouvait se dérouler autrement. Le règlement nous impose pour cette étape marathon qu’aucun véhicule ne roule de nuit, contrairement aux épreuves qui se déroulent au Maroc. Pour des questions de sécurité, le règlement pénalise très sévèrement les équipages qui violent le règlement. Nous voilà prévenues ! En Argentine, il faut impérativement s’arrêter au coucher du soleil et reprendre la route à son levé. En raison des conditions climatiques en Amérique du Sud, les pistes sont bien trop dangereuses pour y évoluer de nuit. Les pluies et la sécheresse endommagent trop les routes. Elles s’avèrent trop souvent accidentées et leurs configurations peuvent changer en 24 heures. Voilà pourquoi les organisateurs nous interdisent de rouler de nuit. La soirée pour celles qui ont rejoint Santa Rosa de Pastos Grandes se déroule dans une bonne ambiance avec les autochtones au coin d’un superbe feu, mais dont je garderai l’odeur toute la nuit tant elle fut désagréable. Mes vêtements complètement imprégnés me donnaient encore le lendemain matin la nausée.


Pendant cette festivité autour du feu, avec les autochtones, nous remercions la divinité « Pachamama » qui représente pour les paysans la terre nourricière. Ils tenaient à nous faire partager ce moment important de leur culture et de leur culte. Les Argentins très attachés aux rituels ancestraux organisent tous les ans une cérémonie d’offrandes en guise de remerciements à leur terre qui les nourrit. Ce rituel consiste à creuser un trou profond afin que celui qui s’adresse à leur « Pachamama » déverse dans cette poche de terre une boisson alcoolisée, puis non alcoolisée, après en avoir bu une partie. D’autres adeptes organisent un autre rituel. Ils fument des feuilles de coca qu’ils jettent également dans ce trou profond. Tous ces gestes rituelliques constituent des remerciements à la terre pour la nourriture qu’elle leur donne et ils enchaînent des prières pour les futures récoltes fructueuses.

La nuit, aussi magique soit-elle, commence à faire sentir les grosses fatigues… Les Roses n’aspirent qu’à une chose : dormir ! Les villageois ont mis à disposition une salle communale pour notre couchage. Un gymnase qui sert de salle de cinéma, de centre culturel et accessoirement de grande chambre pour des Roses perdues dans le sable du désert Argentin. Certaines d’entres-nous sont affalées dans les couloirs, d’autres dans la cuisine… Alors, comme la roue finit toujours par tourner, j’avoue qu’après toute la malchance que nous avons subie Clémentine et moi, je me retrouve cette fois du bon côté de la barrière. Pour cette nuit, il y a aura bien deux camps, les plus veinardes et les autres. Les plus chanceuses, dont je fais partie, ont le luxe de dormir sur un vrai matelas. Matelas ou pas, nous nous sommes néanmoins toutes emmitouflées dans nos duvets afin de palier au très grand froid déclenché par la bise.


Chacune tente de trouver le sommeil comme elle le peut… Je ne vous explique même pas comment je pourrai manifester ma joie à cet instant. Je ne dors pas immédiatement. J’observe le ciel qui m’attire. À cette altitude, le ciel se trouve dégagé, sans pollution lumineuse, et la Voie Lactée se trouve sous me yeux, l’étoile du berger, la petite et grande ourse apparaissent bien visibles et m’émerveillent. C’est la tête pleins d’étoiles et de belles pensées pour ceux que j’aime si profondément, mes fils, mon chéri et quelques-uns de mes amis qui commencent à me manquer, que je finis par m’endormir avant la dernière étape de liaison qui nous ramènera à Salta.

Cette dernière liaison du lendemain s’annonce sous de bien meilleurs auspices. Enfin. Nous nous armons encore de courage pour la matinée frileuse qui nous attend. À très vite.
Texte : Christine Sentenac, co-écrit avec Carlos Sancho (Coordinateur), images : Christine Sentenac et L’organisation Libre de droits.