Les derniers efforts, enfin… Le final !
Dernière journée de course pour Les Roses… Le 29 avril. C’est leur dernière ligne droite. Si le temps s’avère désormais plus clément, et que nos sportives préférées ont accumulé toutes sortes d’émotions, y compris les pires avec leurs tonneaux avec leur bolide qui auraient pu leur coûté la vie, nul doute que nos représentantes profiteront complètement de leur dernière liaison. C’est en se regroupant avec plusieurs autres équipages que Clémentine et Christine ont décidé de parcourir les ultimes kilomètres qui les séparent de la ligne d’arrivée… Honneur aux dames pour nous emmener encore vivre une journée de leur fantastique périple. À vous mesdames.
C’est le départ pour nous de Santa Rosa de Pastos Grandes pour Santa Antonio puis Salta. Il fait toujours aussi chaud ici. À six heures matin, nous avons droit à un joli -4°C… Franchement, ce n’est pas toujours agréable ce grand froid matinal. Nous avons néanmoins une agréable surprise pour ce réveil… : Les habitants se sont levés très tôt pour nous proposer des boissons chaudes, café et thé maté, avant notre départ. Nous avons eu droit à des infusion de plante fortement concentrée en caféine que les argentins consomment tout au long de la journée. Ces attentions s’ajoutent à notre petit déjeuner que nous devions nous concocter nous-mêmes.
Nous ne pourrons pas partir avant le lever du soleil, comme la règle nous l’impose. Dans l’attente de ce départ, nous patientons sagement en nous préparant à affronter une nouvelle épreuve. Ce jour, le premier reflet du soleil pointe son nez à sept heures trente-sept précises. Les premiers rayons illuminent les sommets enneigés, c’est le top départ pour nous. Clémentine se trouve aujourd’hui au volant. L’alternance, toujours l’alternance. Ce sont les derniers kilomètres dans le désert avant l’arche d’arrivée définitive, la fin de l’aventure. Déjà. Ce fut si court, mais si intense. Notre aventure si exceptionnelle. Il nous faudra parcourir 60 kilomètres afin de rejoindre San Antonio. Ensuite, ce sera l’étape de liaison jusqu’à Salta.
Nous n’avons pas encore terminé ce Rallye que nous en sommes déjà toutes nostalgiques. En parlant Clémentine et moi, malgré toutes les mésaventures, nous reconnaissons déjà notre victoire sur nous-mêmes. être arrivées jusqu’à cette ultime étape de la course. Il faut fêter cela et en profiter pleinement entre Roses. Nous décidons de faire les derniers kilomètres à plusieurs véhicules en même temps. Au total, c’est à quatre ou cinq voitures que nous parcourons le trajet restant. Aujourd’hui, pas question de réaliser des coupes de trajectoires afin de gagner des kilomètres comme certains équipages avaient l’habitude de le faire. Avec l’énorme retard que nous avons accumulé, les raccourcis ne nous auraient servis à rien… De plus, nous aurions risqué d’endommager davantage notre bolide.
Nous franchirons donc l’arche toutes ensemble. Pour cette dernière étape, nous désirons juste nous faire plaisir. On se fout totalement du nombre de kilomètres à parcourir. Pire, on se fiche finalement du classement général. Il existe aujourd’hui des choses bien plus importantes à vivre. Nous sommes ici ensemble pour une expérience unique et la magnifique complicité amicale entre Roses qui se dessine au travers des épreuves qui nous unit depuis de nombreuses années. Cela me comble. Du coup, en nous focalisant désormais sur l’essentiel, nous vivons cette dernière étape sans aucune pression, juste avec le bonheur, le plaisir et la conscience que cette expérience n’est pas donnée à tout le monde. En réalité, ces sentiments nous animent depuis le début de la compétition et ils m’ont accompagnée même dans les moments les plus difficiles pour ne pas lâcher avant la fin. Nous en avons beaucoup parlé Clémentine et moi. Si nous avions des concurrentes coriaces à braver, c’étaient bien surtout nous-mêmes que nous devions combattre et que nous sommes heureuses d’avoir affrontées. Clémentine et moi les avons vécu ces derniers kilomètres avec plus de sérénité.
Revenons à la course. Je ne me souviens pas réellement des paysages durant cette traversée. Le seul souvenir qui me reste de ce lundi 29 avril entre Santa Rosa de Pastos Grandes et San Antonio : nous avons roulé sans grande visibilité à travers un nuage de poussière et sous un soleil éblouissant qui nous aveuglait. Une atmosphère propice à une introspection humaine que j’ai pu réaliser aussi grâce au spectacle peu émouvant que je ressentais ! Plus facile dans ces conditions pour un retour sur soi. Toutes les images de notre voyage défilent dans ma tête. Cette aventure se révèle si extraordinaire. Je n’en reviens pas de tous ces moments intenses dans ce désert qui nous font grandir. Ces échanges avec les locaux qui nous rappellent l’humanité qui se trouve au fond de nous et qu’il ne faut perdre sous aucun prétexte. Je revis dans mes pensées tous les moments le plus proches de ces cinq derniers jours.
Je repense à mes amies Les Roses, à nos soirées inoubliables et si chaleureuses en compagnie d’Argentins que je n’oublierais pas, à nos galères qui nous aident à nous construire et à nous dépasser afin de sortir toujours plus fortes dans ce monde si cruel, à nos visages bouffis de fatigue chaque matin à courir après quelques heures de sommeil qui nous manquent terriblement, à nos petits bobos qui ont disparu aussi vite qu’il m’a fallu pour penser à la chance que j’avais d’être face à moi même dans de telles circonstances… Sans oublier toutes ces couleurs, celles que mes yeux sont capables de voir… Comme celles que je n’ai pu que deviner ! Cette expérience me bouleverse encore davantage maintenant qu’elle s’approche de son dénouement. Elle m’offre un élan supplémentaire afin de retourner affronter mon quotidien parisien et construire encore davantage des moments de félicité auprès de ceux que j’aime. J’ai l’impression que mon appétit de bonheur se trouve loin d’être satisfait. Je me sens là aussi insatiable. Alors que la fin s’approche, j’ai peur d’être passé à côté de moments magiques que je n’ai pu saisir. J’aurais aimé être un rapace, un condor afin de distinguer les mêmes spectres de couleurs que la vie propose et les emmener au fond de mon cœur pour toujours. Je ne me lasse pas de contempler mes dernières heures dans ce paradis terrestre … Ces coloris du bonheur se trouvent gravés au fond de moi : j’y trouve du bleu, blanc, gris, noir, ocre, orange, rouge, vert, brun, rose, pourpre, et bien d’autres encore qui n’ont pas de nom dans mon monde… Je me sens éblouie par tant de couleurs et de magie que je m’imagine bloquée définitivement devant ces images splendides.
Nous arrivons à la fin. Je n’ose y croire et en même temps, je voudrai que notre aventure continue encore, et encore… L’arche d’arrivée se fige là, devant nous, à quelques mètres. Un concert de klaxon retentit… J’ai la sensation de ne plus être de ce monde tant j’ai l’impression de me trouver dans les étoiles. L’émotion ne cesse de monter et finit par me submerger. Je ne suis plus en possession de mon corps. Inhabituel pour moi de ne pas me maîtriser, je décide néanmoins de me laisser aller complètement. Une habitude saine que j’ai prise depuis quelques mois avec mon chéri. Lorsque les directeurs, les commissaires, les mécaniciens, les docteurs nous accueillent sous un tonnerre d’applaudissements, comme l’aurait dit Jacques Martin dans L’école des fans, ma vie bascule. Sur la ligne d’arrivée, je me relâche tellement que moi, qui ne pleure plus depuis des années, je m’effondre en larmes. Je serre très fort Clémentine. Je me sens extrêmement fière d’elle et d’avoir réalisé cette expérience avec elle…
Après toutes ces émotions si fortes dont je n’ai plus l’habitude, il est temps de rejoindre les autres. Je sors de notre bolide par la fenêtre. Je serre très fort la main de Corinne, la médecin à qui je dois tant. Je vois qu’elle a aussi ses yeux qui brillent… Aucun mot ne sort de ma bouche, mais mon regard en dit long. Incontestablement, nous venons de passer dans un autre monde, une autre sensation que je ne mesurais pas. Impossible à imaginer même dans mes rêves les plus doux.
Vient l’heure du relâchement devant les photographes. On pleure. On crie. On rit. On se serre dans les bras les unes et les autres… C’est grandiose à ressentir. La compétition n’a plus sa place…, seuls le bonheur et la fierté de ce que nous avons réalisé nous unissent toutes comme les cinq doigts de notre main gauche. Celle du cœur. Un cœur qui a battu à 1000 à l’heure pendant toute cette course… Les photographes nous demandent de prendre la pause… Dans l’état dans lequel nous nous trouvons, nous nous exécutons sans même réfléchir. De plus, à cet instant, notre esprit se trouve franchement ailleurs. Nous songeons déjà à la suite de la journée… Des activités moins bien séduisantes. Nous avons encore de la route pour rejoindre Salta, desticker et laver la Chevrolet froissée, nous rendre au centre de convention, et enfin payer la « Cuenta » pour la réparation de la voiture. L’organisation du Rallye nous accompagne dans toutes les démarches, ressortir nos photos de la voiture prises lors du Check-In qui nous permettent de négocier la facture… En ce qui me concerne, j’avoue que cette aide ne m’est pas inutile. La note de ma connerie d’accident se monte quand même à la jolie bagatelle de 3500 euros. Petit cadeau supplémentaire que je me paye en plus du forfait des frais d’inscription et d’engagement au départ déjà très élevé… Une fois la douloureuse expédiée, je saute dans le taxi qui nous ramène au point de départ, le Sheraton à Salta.
Nous voilà, enfin revenues à la civilisation. Du moins, à une existence où l’hygiène redevient une priorité pour nous, sportive devant l’éternel, mais attention féminine avant tout. Demandez-le à mon chéri, et il vous confirmera… Bref, après avoir réglé les dégâts de notre véhicule, il est temps de prendre soin de moi. Retour dans une vraie chambre, avec enfin une véritable salle de bain digne de ce nom, une douche que nous nous délectons de prendre… Quel pied… Après un Rallye plein de rebondissements et de vie à l’arrache en pleine nature, il s’avère inutile de vous décrire la couleur de l’eau… Enfin, une fois fraîche et propre, cette fois, nous repartons à pied afin de découvrir le « Centro » de la ville et nous mêler à la foule…
Nous voulons passer inaperçues et profiter de ces instants de vie normale. Raté, un troupeau de femelles européennes qui se déplacent comme un seul bloc dans les rues, difficile de ne pas se faire remarquer. Notre démarche et notre allure nous trahissent : incontestablement, nous sommes des touristes… Et nous ne ferons aucune illusion à ce propos. Les Argentins nous voient venir. Ils flairent le bon coup commercial et nous proposent une kyrielle d’excursions, un tas de souvenirs de Salta Made In China… J’en ris. Nous ne sommes pas abordées comme nous l’avons été ces derniers jours… La différence s’avère amusante et parfaitement compréhensible. Nous, Les Roses aguerries, nous nous regardons en souriant et nous leur faisons comprendre que nous ne sommes pas dupes, sans pour autant les dissuader de continuer leur jeu de séduction, « c’est le jeu ma petite Lucette ! » Sans nous faire avoir, nous nous laissons porter par ce carnaval commercial, et certaines achètent quand même quelques bricoles et des souvenirs pour leurs familles.
Une fois la promenade commerciale achevée, nous retournons avec Les Roses à l’hôtel afin de finir notre périple du jour par un vrai dîner. Là aussi, j’avoue, nous apprécions ce retour au plaisir d’un excellent repas. Le groupe soudé des Roses se lâche lors de cette dernière fiesta argentine avant la plus sérieuse remise des Prix du lendemain. Nos tensions, nos peurs, notre fatigue et tous ces désagréments qui ont jalonné nos dernières heures sont très vite remplacés par des rires, des fous rires, des sourires, de la joie, du bonheur … Cela nous fait un bien fou. Nous ne voulons pas rompre avec ce moment magique. La soirée festive s’éternise alors dans la salle du restaurant de l’hôtel.
Nous improvisons des jeux de circonstances. Ils sont nombreux et nous amusent beaucoup. Assises autour d’une table regroupant une dizaine de filles, nous faisons tourner une bouteille vide. La Rose qui se trouve face au goulot de la bouteille se retrouve désignée d’office pour nous raconter une anecdote de son Rallye. Les histoires se révèlent plus folles les unes que les autres. Nous rions comme des gamines avant de nous endormir. Je repense à l’histoire vraie de Kathy et Valérie. Elles nous racontent avoir vu dans le rétroviseur leur roue de secours se faire la belle dans une direction opposée… J’ai imaginé leur panique et cela m’a fait oublier nos mésaventures à Clémentine et moi… Quand ce fut mon tour, après tout ce que j’ai vécu, je n’avais que l’embarras du choix pour raconter la plus insensée de toutes. Après une réflexion finalement assez rapide, j’ai définitivement choisi celle qui m’a à posteriori fait le plus rire. Rouler sur plusieurs dizaine de kilomètres avec une copilote qui a rendu tout son dîner et petit déjeuner me semblait encore plus drôle à raconter, alors que nous étions tous autour d’une table… Nous sirotions un vin rouge argentin, Finca Natalina, après un dîner somme toute assez délicieux. Je confesse bien volontiers avoir pris encore plus de plaisir à raconter mes péripéties en n’omettant aucun détails, même les plus épouvantables… Oui, nous aussi, Les Roses pouvons nous lâcher sans retenue… Et, je vous fais grâce ici de toutes les histoires de pipi et caca que nous avions l’habitude de faire en plein désert entre les portières de nos bolides qui se sont confiées autour de cette tablée… De toutes façons, elles s’avèrent pour la plupart inracontables.
Live Report : Christine Sentenac, co-écrit avec Carlos Sancho (Coordinateur).
Images : Christine Sentenac et Libre de droits.