L’art de mettre les petits plats dans les grands !

Et oui, tout vient à point pour qui sait attendre ! Et aujourd’hui plus que jamais, j’ai bien la preuve que les bonnes actions sont toujours récompensées un jour ou l’autre. Pour la mienne, ce fut une soirée exquise afin de mettre mes papilles à l’honneur. Enfin !

 

 

Alors que les superbes histoires de Jules Verne m’ont souvent été contées durant mon enfance à travers le superbe voyage autour du monde en 80 jours, plus tard, bien plus tard, j’ai aussi découvert que cet illustre écrivain pouvait aussi émerveiller mes papilles à travers un tout autre voyage, un périple tout aussi succulent. Et, soyons francs, elles ne sont pas prêtes d’oublier cette sublime soirée dégustation. Une découverte nutritive des plus délicieuses orchestrée dans un des joyaux de la gastronomie française, celui-ci perché à 125 mètres du sol. L’unique : j’ai nommé le Jules Verne. Cet établissement illustre dans lequel le monde entier se rue pour occuper une des tables face à la gigantesque baie vitrée…

 

 

Si Alain Ducasse a longtemps régné en maître à La Tour Eiffel, et dans les cuisines de l’un des établissements les plus prisés de la Capitale, Le Guide Michelin n’a guère donné plus d’une étoile au célèbre Jules Verne. Une seule petite étoile… Voyons ! Il n’en a eu deux que pendant très peu de temps, au début, dans les années 80. Au regard du prestige du lieu, j’ai voulu comprendre pourquoi cette injustice perdurait.

 

 

Avec sa superbe vue panoramique sur Paris du haut du deuxième étage de cette tour connue à travers le monde, la Success-Story de ce restaurant a longtemps donné du fil à retordre au service réservation. Et pour cause, si le tout Paris s’est toujours bousculé pour aller dîner dans ce superbe lieu, à l’époque de Ducasse, il fallait être parmi les 140 à 150 premiers privilégiés afin d’aller s’installer à l’une des tables accolées aux vitres du restaurant. Il est conseillé de réserver de un à trois mois à l’avance, quant il en fallait au moins six auparavant, si vous souhaitez une place près des baies vitrées à proximité des poutres métalliques de La Tour Eiffel. Je vous laisse imaginer certains touristes qui incluent cette étape pour célébrer des fiançailles, une naissance, une demande en mariage… Au total, difficile de contenter tout le monde… C’est là que les propriétaires du Jules Verne ont trouvé une solution : ils décident d’enchaîner le nombre de couverts par services. Résultat, cela en fait beaucoup trop pour avoir le droit de décrocher une seconde étoile. Peu importe. Depuis la réouverture du restaurant, la politique des propriétaires a changé, leur nouvel objectif déclaré : décrocher impérativement le second sésame. Pour ce faire, il leur a fallu repenser la dynamique et certainement faire abstraction de certains points essentiels qui faisait alors leur réputation. Alors qu’auparavant, il n’y avait le midi et le soir qu’un service unique par repas, désormais le restaurateur a décidé d’ouvrir le déjeuner jusqu’à 12 heures 30 et de proposer deux services pour le souper, le premier à 18 heures et le second à partir de 21 heures. Calcul bizarre, mais certes plus avantageux, pour le restaurant… D’où la réduction du nombre de convives qui est tombé à 90 à 100 par service. Le calcul s’avère certes amusant : on baisse le nombre de personnes par service, mais on en double le nombre de tournées… Quid de la qualité alors… ? Comment se sont-ils organisés pour enchaîner deux services à la suite sans perdre la tête ? Simple finalement… Pour cela, le propriétaire a misé, notamment, sur la valeur de l’assiette, faite, à la fois, de prestige et d’une créativité audacieuse. Les convives ont donc désormais le choix entre deux menus dégustation : le premier à 190 euros avec cinq plats, et le second à 230 euros pour sept mets.

 

 

Heureusement, pour le plus grand bonheur des « Happy Few » ayant décroché le sésame d’entrée, si les menus ont quelque peu évolués et laissent ainsi apparaître de nouvelles compositions culinaires, il y a bien une chose, elle, qui ne change pas : cette splendide vue toujours aussi singulière. Elle attire, non pas les étoiles, mais toujours autant les clients. Oui, seuls les « Happy Few » ont droit à ce délice. Cependant, devenir un « Happy Few » n’est pas toujours aussi simple… Il leur faut s’armer de patience et parfois attendre plusieurs mois pour avoir le droit d’approcher la tour sud de La Tour Eiffel ! Un vrai parcours du combattant. Et même lorsque l’on croit que notre tour est enfin venu, la désillusion peut encore frapper. Eh oui, même avec une date en poche, il nous faut aussi nous préparer à toute éventualité d’annulation qui reporterait la soirée de rêve tant attendue. Et les raisons de nous en attrister peuvent être aussi différentes qu’ubuesques.

 

 

Par exemple, la personne qui nous accompagne peut décider unilatéralement de nous faire volontairement défaut. Ou bien, le Grand Soir approche mais, au dernier moment, deux présidents décident de privatiser le restaurant pour s’encanailler en couple aux côtés de leurs délégations respectives. D’innombrables autres raisons encore peuvent nous obliger de trouver des palliatifs ingénieux afin de réorganiser notre soirée sous d’autres auspices afin qu’elle soit tout aussi inoubliable. Enfin, ces tristes aléas de l’existence restent toujours des épreuves plus ou moins difficiles à surmonter afin de trouver notre paix intérieure, dit-on… Mais soyons sérieux… Rater un dîner au Jules Verne, il ne faut pas oublier qu’il y a vraiment pire dans la vie… surtout si ce rendez-vous manqué n’est pas pris au meilleur moment, ou pire, avec la bonne personne. Ne jamais oublier que le secret du bonheur reste toujours le même : la bonne personne au bon moment et au bon endroit… Et ce tryptique finit toujours par arriver !

 

 

Bref, un peu de rêve et d’histoire au Jules Verne ne peuvent nuire. Si tous les soirs les trois salles affichent complets, en ce 13 juillet 2017, lors de la venue des époux Trump, la salle face à la Seine, appelé la Salle Champs de Mars,  a été réservée aux deux couples présidentiels et un haut fonctionnaire de chaque pays pour les éventuels traductions et vérifications d’usages du Protocole. Le restaurant affichait pourtant complet. Les deux autres salles étant chacune réservée pour une délégation par pays. Le Protocole Présidentiel veut que le haut fonctionnaire se déplace auprès de la délégation de son pays afin de récupérer les informations que le chef d’état réclame pour les fournir à son homologue, et réciproquement évidemment… Un bal loin d’être populaire comme le chantait si bien Michel Sardou.

 

 

Arrêtons-nous quelques instants sur la Salle Champs de Mars, celle que tout le monde se dispute, paraît-il. Ce soir de juillet 2017, celle-ci fut réservée aux hôtes présidentiels. En sortant de l’ascenseur, elle se trouve être la seconde. On y accède après avoir déposé son vestiaire au pied de l’ascenseur, lu quelques lignes du livre d’or, puis traversé la première salle. Ce soir là, cet espace fut réservé à la délégation française. Les américains se trouvaient quand à eux parqués dans la troisième salle. Là encore, le Protocole s’avère plus que rigoureux. Maintenant, passons au service de table. Comment s’est-il organisé ? Seuls quatre employés du Jules Verne, en plus du propriétaire, eurent le droit de pénétrer dans l’espace Présidentiel plus que sécurisé, les deux autres salles étant gérées par le reste du personnel de l’établissement. Durant les deux semaines précédent The D-Day, chaque jour, un haut responsable américain est venu pour vérifier tout le dispositif du restaurant. On imagine qu’il a du être assisté de son homologue français. Bref, tout y est passé : mesurer la taille et l’épaisseur des vitres, inspecter chaque recoin du restaurant, scruter les diverses poutres métalliques, afin de s’assurer que le couple Trump ne risquait rien. Rien, pas même une glissade dans les toilettes.

 

 

Enfin, une fois l’aspect sécuritaire avalisé par le Service Secret, revenons à notre côté « Frenchie » et ce qui caractérise la splendeur de ce haut lieu national de La gastronomie française. La vue en Cinémascope de Paris, à travers les grandes baies vitrées, vaut plus que le détour. Elle donne directement sur le pont de l’Alma et Les bateaux-mouches. On déplace notre regard admiratif de l’Arc de Triomphe à Notre Dame et le Panthéon, en passant par un Grand Palais illuminé de bleu et de rouge, l’Obélisque et le Sacré Cœur. J’avoue que lors de ma présence dans ce mythique lieu parisien, j’ai très longuement profité de ce splendide panorama durant tout le dîner. Ayant réservé pour le service de 21 heures, j’ai pris mon temps pour savourer ce qui m’entourait. Vraiment. Je le confesse : nous avons été les derniers à quitter l’établissement. Après avoir attendu si longtemps de profiter d’une telle soirée, et après quelques faux pas sur lesquels il serait inutile de revenir, je ne me voyais définitivement pas quitter ce lieu trop vite.

 

 

Intéressons nous finalement ce qui se trouve enfin dans l’assiette plutôt qu’à la décoration d’un établissement ou l’aspect financier… Certains expliquaient davantage apprécié les mets figurant sur la carte précédente comme le Crabe Granny Curry plus que le Crabe à l’orange sanguine Curry ; savourez le Homard plus que des Saint-Jacques au zeste de Citron vert et d’un petit peu de caviar, saluons néanmoins l’envolée du Foie Gras et le petit flan Moelleux à la sauce Nantua ; et sans oublier la langoustine en ravioli et à la Truffe noire, le péché mignon de Frédéric Anton, valent leur pesant de cacahouètes. Certains ont une tentation supplémentaire pour la volaille cuite dans un bouillon, bien plus que la pièce de chevreuil Rôti avec des macaronis au jus sauce poivrade, certes très belle, mais bien trop classique… Seul élément dispensable selon moi, le Cabillaud, cuit au naturel, Poutargue avec un jus aux épices. Quant aux desserts en passant La Framboise juste sucré, son sablé et sa crème vanillée opaline aux zestes de citron vert, sans compter l’excellent le Chocolat, le dernier dessert du menu dégustation, servi avec un biscuit moelleux, une crème au chocolat amer et un sorbet lapar torréfié. Toute cette belle aventure gustative mériterait de s’y attarder une nouvelle fois pour se laisser transporter vers un voyage de découvertes fabuleuses…

 

 

Un repas qui fut quasi impérial, mais qui me laissa néanmoins le temps de laisser voguer mes idées et mes réflexions entre chaque plat et les divers échanges philosophiques. J’ai pu ainsi appréhender et m’intéresser en toute quiétude à l’histoire de ce Temple de la cuisine française. Frédéric Anton se voit nommé à la tête du Jules Verne, ce haut lieu de Prestige français…

 

Accompagné d’un sous-Chef Kevin Garcia, son ex Chef adjoint au Pré Catelan, et du pâtissier Germain Decreton. Après plusieurs mois de fermeture pour travaux, sous la responsabilité du Chef Frédéric Anton, les aménagements ont été confiés à l’architecte libanaise Aline Asmar d’Amman. Une pro de ce type d’exercice. On lui doit aussi la rénovation de l’Hôtel Crillon en 2014. Bref, le Jules Verne rouvre ses cuisines le samedi 20 juillet 2019 et offre des salles plus lumineuses et un décor plus actuel à l’aide d’un mobilier pensé et réalisé sur mesure, telles les très agréables chaises en velours. Le décor se révèle magnifique  s’est doté de miroirs dans lequel se reflète la vue de Paris, agrandissant l’espace. Six mois plus tard, le 27 janvier 2020 exactement, le nouveau Chef, Frédéric Anton, également Chef du restaurant le Pré Catelan dans le bois de Boulogne, met les bouchées doubles afin de marquer son territoire. Et il faut bien admettre que le résultat mérité d’être souligné. À force d’un travail acharné et de sa main d’orfèvre dans sa « cuisine/athanor », le Chef vosgien, originaire de Contrexeville, récupère sa première étoile au Jules Verne et conserve ses trois autres au Pré Catelan. Ce nouveau chef au Jules Verne sait qu’il est attendu aussi bien par la clientèle très exigeante que par les professionnels qui scrutent son travail. Et pour cause, il reste quelques indiscrétions peu reluisantes sur lesquelles il demeure préférable de ne pas s’attarder… N’oublions jamais : les histoires dans les cuisines d’un établissement, comme dans les couples paraît-il, doivent toujours rester dans les cuisines. Les chefs désirent afficher leur différence en laissant chacun leur empreinte, même si …Chacun y a mis son grain de sel.

 

 

Au Jules Verne, à 54 ans, Frédéric Anton succède à Alain Ducasse qui tenait admirablement les cuisines depuis 2007 après avoir lui-même remplacé Alain Reix qui avait émerveillé le tout Paris de 1992 à 2007. Ce dernier ayant pris la relève en 1983 à 1997 du grand Louis Grondard qui officiait avec brio depuis l’ouverture du restaurant en 1983. Ce fameux millésime 1983 : l’année de la transformation du deuxième étage de La Tour Eiffel. Chacun n’a eu de cesse que de fixer des objectifs à la mesure de la démesure de l’établissement. Dès sa nomination au Jules Verne, Frédéric Anton s’est mis en tête de tout faire afin de décrocher sa seconde étoile au Jules Verne. Pour son rêve, il n’y a pas de limite. Quitte à redoubler d’ingéniosité sur la carte au détriment de sa clientèle. Frédéric Anton s’en fiche, seule sa seconde étoile l’obsède et il ne se préoccupe pas de la guerre que lui a déclaré Alain Ducasse, toujours en charge dans les cuisines du Plazza Athénée. Pourtant, tous les deux possèdent leur trois étoiles, l’un au Pré Catelan et l’autre au Plazza Athénée. Les deux continuent de se livrer bataille pour l’établissement qui n’a jamais même atteint sa seconde étoile… La bataille acharnée ne cessera probablement pas, comme celle entre la Palestine et Israël, tant les enjeux au Jules Verne dévissent la tête de n’importe quel Chef… De cuisine ou de guerre, peu importe. Pour le moment, Frédéric Anton possède déjà une longueur d’avance sur ses objectifs : Il a déjà été sacré Meilleur Ouvrier de France en 2000. Il vient de réussir l’exploit d’offrir au Jules Verne le droit d’être intégré au répertoire des tables Relais et Châteaux. On attend la suite avec impatience et on se donne rendez-vous une prochaine fois à une table du Jules Verne pour compter les résultats…

 

 

Merci à Alex pour cette si magnifique soirée m’ayant permis de célébrer cette nouvelle vie…

Texte et Images : Carlos Sancho