Félix Boisson de Chazournes
fondateur des magasins O’CDInterview Exclusive !

Depuis 1994, l’ouverture du premier magasin O’CD au 26 rue des Écoles dans le 5ème arrondissement de Paris, les magasins O’CD n’ont cessé de prospérer ! Au départ, le choix du Quartier Latin à Paris était l’idéal pour faire connaître O’CD. C’était à deux pas de La Sorbonne pour toucher un maximum d’étudiants dont une majorité étrangère, enthousiasmée par le concept de l’occasion. Puis, le bouche à oreille a fonctionné très rapidement.

L’engouement pour le concept a été tel que de nombreuses autres boutiques O’CD ont vu le jour en centre ville, à Lyon, puis Tours, Genève, Lille, Nantes, Grenoble, Montpellier, Bordeaux, Toulouse, Paris de nouveau, Marseille, Rennes, etc… Aujourd’hui, O’CD compte 16 magasins au total dans toutes les grandes villes de France et en Suisse.

TvRocklive.com a donc réalisé une Interview exclusive confinée de Félix Boisson de Chazournes, patron charismatique de cette fabuleuse chaîne de magasins culturels.

TvRocklive.com : Pourquoi avoir ouvert une chaîne de magasins de disques dans les années 90 ?
Félix : J’ai vécu à Dallas, aux États-Unis pendant dix ans dans les années 80-90. J’ai travaillé pour les magasins boulangeries Paul là-bas. J’ai vu que le marché de l’occasion du CD était un marché assez important à l’époque et j’ai voulu rapporter cette idée en France. Et voilà, c’est comme ça que c’est parti !

TvRocklive.com : Pourquoi être passé du secteur alimentaire à la profession de disquaire ?
F : Par passion de la musique tout d’abord. Puis je suis rentré en France car ma mère s’est retrouvée seule, suite à la mort d’une petite sœur. Donc, c’est pour des raisons personnelles que je suis revenu en France. J’ai bifurqué sur quelque chose de plus personnel, je me suis dit que c’est l’occasion d’essayer le disque.

TvRocklive.com : Quelle formation as-tu pour gérer autant de magasins ?
F : Je suis un Self Man (autodidacte). J’ai passé mon Bac, après je suis parti en comptabilité. Comme cela ne m’excitait guère, j’ai décidé de monter un magasin de planches à voile à Lyon dans les années 80. Il marchait bien mais je me suis dit que c’est pas ça qui me ferait vivre tout le temps. C’est pour ça que j’ai décidé de partir aux États-Unis, d’aller vivre le rêve américain ! J’étais en fac d’AES (Administration économique et sociale) et puis je suis parti dans le commerce directement.

TvRocklive.com : Peux-tu nous rappeler l’historique des magasins ?
F : Le premier magasin, c’était rue des Écoles. On a ouvert rue des Écoles en 94. Quand je suis arrivé dans le monde de la musique, il y avait un grand-père qui s’appelait Crocodisc pour le vinyle. Après, il y a avait le lieu : entre Jussieu et La Sorbonne. Comme il y avait une migration de jeunes assez importante, que la musique était assez importante, cela m’a permis d’avoir une clientèle assez importante dans le quartier. Ça a très bien marché au départ parce que c’était très bien accepté et on a fait beaucoup de communication. Étant lyonnais, je suis parti en ouvrir un à Lyon avec des amis. Puis, tout doucement, j’ai grandi suivant les villes et les possibilités et suivant les relations. Après, c’était l’aspect financier, la question c’était comment je pouvais financer ça. J’ai tout financé par l’intermédiaire des banques, donc c’était important de ne pas ouvrir trop vite.

TvRocklive.com : As-tu des associés ?
F : J’avais des associés dans les premiers magasins que j’ai ouverts. Puis, il s’est avéré que cela ne marchait pas complètement pour eux. Donc, j’ai racheté leurs parts et j’ai monté ma société. J’ai gardé deux associés qui sont avec moi dans la Holding qui couvre les seize magasins.

TvRocklive.com : Depuis l’arrivée d’Internet et de puissants concurrents comme YouTube, Deezer…, quelles ont été les conséquences sur le chiffre d’affaires ?
F: On a bien senti qu’il y avait quelque chose qui se passait dans la musique dans les années 90 parce qu’on a vu le début de la baisse des ventes de CDs. On s’est aperçu que le DVD se développait beaucoup et on s’est dit on va se diversifier. Comme le DVD était un produit similaire comme le CD, au niveau matériel, et qu’on savait gérer, on a mis ensemble le DVD, le film et le CD. C’étaient deux produits qui pouvaient très bien marcher. C’était un peu compliqué pour moi parce que j’ai dû perdre beaucoup de Managers parce que j’avais des Managers qui étaient très Rock ’n’ Roll et qui ne voulaient pas entendre parler de film. Pour eux, la musique, c’est la musique. Et les films, c’est autre chose. Donc, c’était très compliqué. J’ai dû chercher des gens qui étaient polyvalents et qui s’intéressaient aussi bien au cinéma qu’à la musique.

Le DVD est arrivé à prendre un place importante, jusqu’à 50 pour cent du chiffre d’affaires. En même temps, on a développé le marché du jeu vidéo car il était important à cette époque-là. Il y avait des consoles et pas beaucoup de téléchargements. Le DVD a commencé à se faire télécharger rapidement aussi. On a eu beaucoup de produits qui se téléchargeaient en films, en jeux vidéos. Pour se maintenir, on a changé notre fusil d’épaule et on a cherché des produits qui étaient moins téléchargeables sur Internet et qui étaient plutôt des produits de niche et non pas des Blockbusters en DVD. En CD, on est allé chercher des artistes que les gens aimaient bien et qu’on pouvait retrouver à des prix intéressants. On a vécu comme ça jusqu’à 2012. A partir de 2012, on a commencé à intégrer le vinyle qui est venu compenser une perte du chiffre d’affaires sur le CD, le DVD et le jeu vidéo. Les enfants ne jouent plus sur des consoles mais sur des Smartphones. Quand le Smartphone est arrivé, il n’y avait plus de raison de vendre de jeux d’occasion. Avant, les parents achetaient un jeu, un CD, un vinyle. Maintenant, c’est fini ça ! Finalement, on est resté sur des piliers qui étaient solides, donc notre chiffre d’affaires est resté assez constant. Par contre, on a décidé de ne pas rouvrir d’autres magasins pour ne pas mettre en difficulté le personnel et de maintenir ce qui vivait.

TvRocklive.com : Quels sont les magasins les plus propices à réaliser du chiffre d’affaires ?
F : Un peu partout, à Lille, Paris, Marseille… Cela dépend du marché des vinyles, en fait. A Paris, il y a des magasins qui marchent différemment. A Lyon, il y a un beau marché aussi. Il est vrai que des petites villes comme Tours, par exemple, qui a un petit bassin a moins de potentiel. Aujourd’hui, il nous faut un gros bassin pour arriver à satisfaire la clientèle.

TvRocklive.com : Est-ce que c’est dû à un marché avec une grosse clientèle ou à une équipe dynamique de bons vendeurs ?
F : Notre force à nous, aujourd’hui, c’est le service. Dès qu’on a des Managers qui sont motivés, qui aiment le produit, et qui sont bons vendeurs, c’est évident que le magasin tourne bien. On le voit dans la musique : dès que les Managers sont un peu fans d’un certain style de musique et pas d’un autre. Par exemple, le rayon de l’électro n’est pas facile à gérer, et dès qu’un vendeur n’aime pas trop l’électro, il n’y a plus de rayon d’électro dans ce magasin ! La personnalité est vachement importante. On pousse à ce qu’il y ait tout. Le service est le plus important avec un Manager qui fait fonctionner une équipe.

TvRocklive.com : Comment cela se passe avec la concurrence, c’est-à-dire avec les autres disquaires ou les grosses chaînes de distribution comme la FNAC ?
F : En fait, il y a différents mondes. En fait, il y a le disquaire du coin, seul, et qui souffre beaucoup parce que quand tu as un magasin et que ce magasin ne marche pas ça ne va pas. Il a un pouvoir d’achat très limité et ne peut pas négocier de très bon prix auprès des fournisseurs. Avec O’CD, si un magasin ne marche pas, on peut toujours équilibrer et s’entraider. Des chaînes comme la nôtre, il n’y en a plus beaucoup. Elles sont toutes parties et il reste Gibert Jeune et Gibert Joseph sur le marché de l’occasion. Après il reste toujours la FNAC. Seulement la FNAC est une chaîne de distribution qui s’est diversifiée vers l’électroménager pour sauver dix mille emplois et a gardé le TOP 50 dans le domaine de la musique, c’est-à-dire les meilleures ventes. Ils ont négocié avec Universal  »On vend tout ce que vous avez, mais par contre, on ne les achète pas ! Vous les déposez, vous les récupérez en cas d’invendus ! » Après le confinement, la FNAC va retourner tous les invendus à cause de la fermeture des magasins. Et ils vont mettre les nouveautés qui viennent de sortir. Universal va venir nous voir pour les vendre. La FNAC n’est pas un véritable concurrent, ils sont sur un segment de marché bien précis et occupent un tiers du marché. Donc, il reste une part de marché.

Nous, on est le disquaire, le vidéo-club et le lieu où l’on vient discuter de culture dans les centres villes. Tu peux acheter un film, venir le revendre après. On fournit le service, le conseil. Si tu as aimé quelque chose, on peut te proposer autre chose. Dans chaque magasin, tout vendeur peut apporter du service personnalisé : sur les CDs, DVDs, vinyles. Il parle en trois ou quatre lignes du produit qu’il a bien aimé. On imprime trois ou quatre lignes que l’on colle sur le produit concerné. C’est très important pour les clients. Le client peut le lire et ensuite, on peut avoir une réelle discussion. Le client peut dire qu’il a bien aimé ce réalisateur, cet acteur, ce film… Ce qui permet de vendre et d’avoir des choses. Par contre, ce n’est pas comme Amazon ou Internet qui mémorise vos achats, chez nous, si vous avez aimé le réalisateur, on vous propose d’autres films qu’il a faits, par exemple. Ou pour la musique, voilà ce que l’on peut trouver.

TvRocklive.com : Ce qui exige d’avoir une excellente culture pour les vendeurs.
F : C’est vachement important ! C’est ça qui peut faire la différence. Il faut être à la fois commerçant et avoir de la culture. S’ils sont trop cultivés et trop fermés, pas assez expressifs, ça ne vas pas comme quelqu’un de fan mais trop introverti, car le client ne peut pas l’approcher ou le vendeur ne peut pas s’exprimer.

TvRocklive.com : Quelles ont été les périodes difficiles chez O’CD, par exemple celle des attentats, des gilets jaunes ?
F : On vit avec la rue. Dès que la rue arrête de vivre, on arrête de vivre aussi. On a eu le problème des attentats, des gilets jaunes, des grèves. On a le climat aussi. La ville de Paris qui décide de faire des pistes cyclables, c’est mortel pour nous. Dans toute La France, que ce soit à Paris ou en province, on a fait ça. Dès que l’on touche la rue, les gens se disent : « Je ne passe pas par là parce que c’est tout bouché ! ». On a mis beaucoup de bacs dehors parce que dès que les gens voient le produit, ils viennent acheter. Tiens, c’est pas mal, je vais aller voir à l’intérieur… Alors qu’autrement, c’est plus difficile de les faire entrer. On le voit parce qu’à un moment il y avait des travaux sur la voie, on n’avait plus le droit de sortir les bacs, le chiffre d’affaires a baissé de 10 à 15 pour cent.

TvRocklive.com : Pendant le confinement, quelles ont été les stratégies de vente mises en place, comme le Drive, la mise en vente sur l’Internet ?
F : Sur Internet, on n’est pas très fort. Tout d’abord, il faudrait que les magasins soient ouverts pour fournir les produits. On n’a pas un stock centralisé, on ne vend rien par Internet pour l’instant. Le mot d’ordre du gouvernement est clair : « Ne rentrez pas dans les magasins ! » Du coup, ce que font les Managers, c’est qu’ils essaient de faire vivre sur FaceBook et Instagram le concept O’CD par l’intermédiaire de jeux, de Battles ou de vidéos… Ce que je peux continuer à faire, c’est uniquement des achats chez des fournisseurs. Sinon on est pieds et mains liés : on ne peut rien faire ! Le message est : « Ne rentrez pas dans les magasins ! » (jusqu’au 10 mai 2020).

TvRocklive.com : Quel genre de musique se vend le plus aujourd’hui ?
F : On est un peu généraliste et on n’a pas pris parti pour un style de musique. C’est vrai qu’on a un marché du Hip Hop assez important, un marché du français assez important aussi, du Pop Rock aussi… Du classique au rayon Jazz, ça marche très bien aussi. Le tout est d’avoir beaucoup de références pour satisfaire les clients mais cela devient plus compliqué, on ne peut pas tout avoir. On essaie de voir ce qui se vend et ne se vend pas. Dans la variété internationale, Pink Floyd, les Beatles, les Rolling Stones, Eric Clapton, Bruce Sprinsgsteen seront toujours des bêtes de vente. Johnny Hallyday a beaucoup vendu au moment de sa mort mais moins maintenant alors que Bowie vend toujours. On vend encore du Ramones, Iggy Pop… et c’est des choses que les gens aiment bien. Les gens ne cherchent pas l’aventure, ils écoutent Spotify et donc des génériques. Par contre, les fans savent ce qu’ils veulent aller chercher. La clientèle ici, c’est ma mère et ma sœur, c’est-à-dire tout le monde. Il n’y a pas d’a priori. Parce que ma mère, quand elle a écouté une chanson, elle va venir te la chanter et te demander si tu connais ça. Sa formation a été faite par ce qu’elle écoutait à la radio. Les jeunes viennent acheter des vinyles parce que leur père l’avait ou l’écoutait déjà ! Ce sont des souvenirs. On reste sur des artistes qui sont bien cadrés. Une clientèle Punk est, par exemple, une clientèle bien avertie qui connaît des artistes bien précis.

TvRocklive.com : Pour gérer une telle chaîne de magasins, quelles sont les qualités requises pour un bon Manager ?
F : Il faut avoir une passion sur le produit et aimer le commerce. C’est des heures bien folles ! Il faut avoir une certaine structure et une certaine rigueur. On donne l’impression que c’est hyper simple de travailler dans un magasin mais c’est un travail hyper long. Il faut acheter, préparer les produits pour les rendre beaux, les mettre en rayon, s’assurer de leur présence en rayon… On est occupé en permanence. Il faut rester ouvert aux nouveaux artistes car avec les clients, on en apprend tous les jours ! Les qualités d’un Manager sont donc la connaissance du produit, l’envie de vendre et de parler aux clients. J’aime la musique mais les clients m’ont appris à découvrir plein de choses sur le cinéma, la musique !

TvRocklive.com : Pour terminer cet entretien, quel est ton genre de musique préféré ?
F : J’aime plutôt le Pop Rock comme David Bowie mais j’écoute un peu de tout, la Soul et le Funk, ça va encore. Mais je ne suis pas très à l’aise avec le Hip Hop. Mais tous nos Managers sont fans de Hip Hop ! On m’a conseillé de mettre du Lomepal dans les magasins et c’est ce qui m’a amené le plus de clients ! Le Hip Hop, pour les jeunes, c’est leur créativité, c’est leur monde à eux !
Interview Exclusive : Martine Varago

Voilà cette Interview se finit avant la fin du confinement et vous pourrez vous rendre prochainement dans les magasins O’CD bien situés et bien achalandés. Voici le lien pour vous y retrouver : http://www.ocd.fr/magasins/