Kevin Paradis (Benighted) – Interview Exclusive !

Par : Drummer Boy, images par : Jeremy G Photography & DR


Natural Born Blaster
N’ayons pas peur des mots, Kevin Paradis est l’un des meilleurs batteurs de Metal Extrême qui soit. Son jeu est évidemment ultra-véloce et précis, mais aussi rempli de subtilités et de Groove, deux éléments qui manquent à bon nombre de ses confrères. Notre sympathique Blaster s’est confié à nous afin de parler de sa nouvelle œuvre, Ekbom, neuvième album de Benighted…


TvRockLive.com : Comment as-tu enregistré les parties de batterie d’Ekbom ?  
Kevin Paradis : J’ai enregistré moi-même la batterie dans mon propre studio cette fois, et c’était au final indispensable de faire ainsi ! Les emplois du temps étaient si serrés l’année passée que j’étais très mal préparé pour enregistrer l’album. Découvrir les morceaux dans un vrai studio aurait été un enfer. Faire un enregistrement soi-même demande souvent plus de taf, mais ce sont des conditions de travail plus confortables.
TvRockLive.com : Enregistres-tu en une prise ou par parties ?
Kevin Paradis : Je n’ai plus de méthode systématique, par la force des choses. Il faut être pragmatique. J’ai longtemps eu cette exigence envers moi-même d’enregistrer en une prise, non pas seulement chaque morceau mais tout l’album. Je l’ai fait pour Abreaction de Svart Crown, et pour les deux album de Mithridatic. Pour Benighted, le Kohlekeller Studio n’a jamais été d’accord avec cette méthode donc je n’ai jamais pu l’appliquer. En ce qui concerne Ekbom, étant donné que je n’étais pas très préparé, il était inconcevable de procéder en « One Shot ». En devenant professionnel, on se retrouve face à une montagne de travail et des emplois du temps si complexes qu’il faut souvent différencier studio et Live, et bien cerner les priorités. En studio, il faut surtout écrire de bonnes parties qui servent la musique et les jouer « à peu près bien », sachant que non seulement on peut faire plusieurs prises, mais on peut aussi éditer et corriger les erreurs. En Live, la priorité est de jouer le plus proprement possible, même si les conditions ne sont pas optimales. Évidemment, il n’est pas question en studio de passer des parties qu’on est incapable de jouer ou de ne rien connaître aux morceaux. Pour Ekbom, j’ai fait entre 10 et 15 prises par morceau, chacun d’entre eux ayant été enregistré par partie. Le but était de chercher ce qui fonctionne le mieux, sans forcément viser la perfection car je n’avais pas le temps ! Pour vous faire une idée, vous pouvez écouter les deux « Playthrough » que j’ai mis en ligne (« Scars » et « Nothing Left To Fear »), qui sont très peu édités et pratiquement pas mixés. Ce sont des prises vraiment brutes. Pour jouer parfaitement, il aurait fallu que je simplifie énormément les parties et je ne voulais pas cela. Bon, maintenant que les concerts approchent, je suis beaucoup plus au point !

TvRockLive.com : Tu édites donc tes parties de batterie en studio…
Kevin Paradis : De fait oui, et c’est moi qui me charge de cette tâche. Je remarque que le thème de l’édition voire de la triche en studio revient souvent, beaucoup trop à mon avis, et sans que les termes soient bien définis. Ranko (ex-batteur de Svart Crown) a fait une excellente vidéo sur le sujet sur sa chaine YouTube « French Grip Channel ». Elle se nomme « Batterie et dopage numérique ». J’ai pas mal de désaccords avec ce qu’il défend, mais le débat est passionnant ! Ce mythe du batteur qui n’a pas besoin d’être édité en studio est vraiment un poison, aussi bien pour la psychologie des batteurs que pour le public. À quel moment la performance prime-t-elle sur la musique ? Parfois je me demande si le public juge une compétition sportive ou la qualité d’écriture. En ce qui me concerne, je me fiche de savoir si c’est un vrai batteur que j’entends. Du moment que ça me plaît et que je trouve la musique inspirante, je suis heureux. Cependant, en tant que batteur, je veux pouvoir jouer ce qui me plaît, alors forcément, si un vrai batteur arrive à jouer un super truc que je suis incapable de faire, je vais me demander comment il fait. Là on passe dans le domaine de la pratique de l’instrument.  Pour en revenir à l’édition musicale, certains batteurs se mettent une pression énorme en se disant que ce procédé est mal. C’est faux ! C’est un nouveau standard de l’industrie musicale. Ce serait comme se plaindre d’être publié ou non en vinyle ou sur telle plateforme de Streaming. Sur un album, on peut éditer, mais aussi se permettre plein de choses qu’on ne pourrait faire en Live. Queen est le parfait exemple du groupe dont les morceaux ont été conçus pour le studio, à tel point que certains d’entre eux ont dû être retravaillés pour le Live. En quoi l’édition est-elle fondamentalement différente d’une multitude de Samples ajoutés à la musique et qui ne seront pas reproduits en concert ? C’est une méthode comme une autre pour créer du son. Certes, on ne peut se pointer en studio sans savoir rien jouer. Mais rien ne nous empêche d’utiliser des instruments virtuels si ça nous chante. Le studio est un monde à part, l’édition fait aujourd’hui partie de ce monde car nous sommes à l’ère du numérique ! Le musicien de studio ne doit avoir aucune honte à utiliser les outils technologiques. Je me souviens d’un article qui expliquait que les débuts du Death Metal coïncidaient avec l’apparition des premières boites à rythmes. C’est l’un des premiers styles à avoir bénéficié de parties de batterie massivement éditées. Le concept n’est vraiment pas nouveau.
TvRockLive.com : En revanche, le Live requiert une tout autre approche…
Kevin Paradis : Oui car en concert, c’est la performance qui prime. C’est pour cela qu’en studio, il ne faut jamais perdre de vue le fait que les morceaux doivent pouvoir être joués en Live. Ici, trois aspects me semblent importants. Tout d’abord, il y aura toujours des journées difficiles où la performance n’est pas satisfaisante, surtout en tournée. Il y a ensuite le niveau de précision nécessaire pour obtenir un bon rendu. Il est très éloigné de celui exigé en studio ! Enfin, le passage du studio au Live nécessite toujours une réadaptation. Ceux qui veulent m’écouter en concert sans édition peuvent se procurer le Live à Saint-Etienne  figurant sur l’édition limitée d’Ekbom.
TvRockLive.com : Il y a une dizaine d’années, tu faisais déjà des vidéos sur YouTube et tu avais déjà un très haut niveau de batterie dans le domaine du Metal Extrême. Il semblerait que tu aies acquis tes compétences il y a très longtemps. En effet, je ne vois pas de différence fondamentale entre ton jeu actuel et celui d’il y a dix ans, en tout cas d’un point de vue strictement technique…
Kevin Paradis : Effectivement, mon jeu a énormément évolué en dix ans, mais pas techniquement. On se souvient de cette reprise de Nile que j’avais faite en 2014, « Permitting The Noble Dead To Descend To The Underworld », qui m’a donné beaucoup d’exposition avec presque 300 000 vues. Aujourd’hui je suis techniquement un peu meilleur, mais il est vrai que ma technique n’a pas fondamentalement changé. Cela dit, même dans le Metal Extrême, la technique ne fait pas tout. À partir d’un certain niveau de maîtrise, j’ai décidé d’ajouter d’autres cordes à mon arc en termes de Break de batterie, de Polyrythmie ou de Groove. J’ai aussi beaucoup plus d’expérience dans le son, l’accordage de la batterie, le choix du matériel, l’enregistrement et la production. Tous ces éléments ont nécessairement influencé mon jeu. L’expérience acquise dans divers groupe tels que Mithridatic, Benighted ou Ne Obliviscaris ainsi que dans mes différentes sessions studio m’ont profondément transformé en tant que musicien.

TvRockLive.com : Comment fais-tu pour maintenir ton niveau de jeu au fil des ans ? 
Kevin Paradis : C’est une vigilance régulière. Pour ne pas perdre les bons mouvements, il faut s’exercer. S’ajoute à cela toute une discipline basée sur la posture, la souplesse, la relaxation, pour éviter des problèmes qui arrivent sur le long terme. Mais au fond, ceci est la base de la pratique professionnelle de n’importe quel instrument. Sinon, je ne suis pour l’instant aucune préparation physique ou nutritionnelle particulière.
TvRockLive.com : T’est-il déjà arrivé de faiblir sur scène ?
Kevin Paradis : Évidemment ! Comme je le disais plus haut, il y a forcément des jours où la performance n’est pas satisfaisante. Cela arrive plus souvent en tournée. Dormir même 10h en tour bus n’a rien à voir avec une nuit de 7h dans un vrai lit. Jouer chaque jour sans pause provoque une fatigue musculaire. S’ajoute à cela le stress dû aux problèmes de la vie de tous les jours. Il y a aussi les problèmes physiologiques divers qui peuvent se mettre en place sournoisement, petit à petit, et finir par sévèrement handicaper votre jeu. Je pense aux troubles musculo-squelettiques, aux dystonies primaires et secondaires, au syndrome du canal carpien, etc…
TvRockLive.com : T’est-il arrivé également de souffrir en plein morceau ? Si oui, comment se gère la douleur sachant que la règle d’or sur scène est de ne jamais interrompre un morceau ?
Kevin Paradis : Cela arrive régulièrement lorsque la technique n’est pas optimale et qu’on passe en force. Dans ce cas, on souffre et fait de son mieux. On ne va pas régler un problème technique ou médical sur l’instant, donc il n’y a pas de choix, il faut faire avec. Parfois il m’arrive de passer des Blast à deux pieds au lieu d’un pour m’économiser. J’essaye de prévenir cela par une plus grande vigilance au niveau de la précision de mes gestes, en veillant à ma posture, à mon temps de repos (sommeil et journée sans jouer), ou en n’oubliant pas de m’étirer quotidiennement.
TvRockLive.com : Adopter ce style de jeu extrême peut-il entraîner des blessures, ou une usure précoce des cartilages ?
Kevin Paradis : Je ne pense pas. À mon sens c’est un mythe total. Cela arrive uniquement lorsqu’on passe en force systématiquement, lorsqu’on a le mauvais geste technique, ou une mauvaise posture, lorsqu’on ne respecte pas les temps de repos nécessaires. La batterie implique l’utilisation intensive et répétitive du corps, alors il faut être vigilant. Mais il n’y a pas de raison que ce soit nocif. Au contraire, je pense que c’est plutôt bénéfique. L’activité est non seulement physique mais mentale. J’écoutais il y a peu un reportage sur France Culture au sujet de la pratique du Ping Pong en Allemagne pour endiguer la progression de la maladie de Parkinson, ce sport étant choisi pour la précision des gestes, la façon dont il faut utiliser son regard, prévoir les geste et les réaliser. La batterie est une pratique particulièrement complète sur la coordination des membres. Il s’agit d’être capable de se chanter une partie de batterie et de la jouer ensuite en mobilisant pratiquement 100% du corps. Il n’y a pas d’alliance « vue/mouvement » mais « audition/mouvement ». À ce sujet, il existe une technique de rééducation, le Biofeedback, consistant à utiliser un autre sens pour rééduquer un sens lésé. Par exemple, réapprendre à fléchir et étendre le bras correctement en plaçant des capteurs sur l’avant-bras, de sorte à ce qu’une mélodie soit jouée de façon fluide si le mouvement est lui aussi fluide. La batterie s’inscrit parfaitement dans cette démarche. L’instrument demande concentration, patience, coordination, dissociation… On est en pleine psychomotricité ! Il y a donc plus de bienfaits que de danger, et le Metal Extreme ne fait que pousser cela à l’extrême.
TvRockLive.com : Souvent, lorsqu’on s’aperçoit qu’on a malmené une articulation, il est déjà trop tard, le mal est fait. Comment détecter les signes avant-coureurs pour se prémunir contre les blessures ? À quoi reconnaît-on une mauvaise gestuelle ?
Kevin Paradis : La réponse est simple : la douleur. Je ne crois pas qu’on joue des années sans douleur. Je ne crois pas non plus à une douleur insupportable qui surviendrait soudainement et de manière irréversible. La plupart du temps, il s’agit de douleurs dont on fait fi et qui s’installent. On les ignore, on s’habitue. Jusqu’au jour où il n’est plus possible de les oublier. Et là oui, c’est trop tard ! Il faut simplement s’écouter, apprendre à reconnaître une sensation de muscles fatigués, d’une sensation de blessure, généralement beaucoup plus piquante. Les crispations doivent aussi faire l’objet de notre attention et d’un travail pour les réduire.
TvRockLive.com : Si je devais voir une amélioration de ton jeu au fil des ans, ce serait plutôt sur un aspect qui ne s’écrit pas, à savoir le Groove, le sens des nuances, la dynamique de jeu. Tu es l’un des seuls batteurs que je connaisse qui fasse des Blast Beats nuancés, avec une application particulière sur les accents au niveau du Charley ou de la Ride. Comment as-tu développé cet aspect ? Groove et Metal Extrême sont-ils réellement compatibles ?
Kevin Paradis : Ravi que tu aies cette impression. Comme je le disais plus haut, j’ai un peu la même ! Avec Benighted, je me suis posé pas mal de challenges comme des Blasts dépassant les 300 bpm. Mais à ces vitesses, il se pose la question du rendu. J’ai eu la chance de suivre une formation de conservatoire autour de la méthode Dante Agostini. Mon professeur était très à cheval sur le travail technique mais aussi l’interprétation. J’ai aussi beaucoup d’admiration pour des batteurs comme Dave Weckl ou Neil Peart, pour ne citer qu’eux. Alors je n’ai pas envie que mon jeu soit sans vie. Ainsi, je mets la dynamique au service du côté sombre du Metal Extrême. Un jour quelqu’un m’a dit que j’étais comme un « assassin » car mes « Rimshots » en plein Blast sonnent comme des coup de fusils. Je pense que la dynamique apporte une intensité supplémentaire, une surprise, un niveau de texture en plus. Elle offre plein de possibilités de jeu qu’il serait dommage de ne pas utiliser. Le Groove est plus dû à une fusion des styles, mais je n’y vois pas de contre-indication. J’ai du mal à concevoir pourquoi le Metal Extrême ne pourrait pas Groover sous prétexte que c’est extrême.  Historiquement, les musiciens qui ont commencé ce style, en particulier les batteurs, étaient autodidactes et ne se sont pas penchés sur cette traduction du jeu de batterie. C’est pourquoi les débuts du Death étaient totalement dénués de Groove. Certains diront que le Groove est trop sophistiqué pour le Metal. D’autres ont vu dans le Punk un retour à l’aspect primaire et animal du Rock, qui selon eux commençait à se perdre dans quelque chose de trop « noble » par l’ajout d’orchestration… Mais bon ces oppositions de classes ne sont pas pour moi. C’est de la politique. Ça n’a rien à faire dans la musique !

TvRockLive.com : Tes toms et ta caisse claire sonnent de manière très naturelle sur l’album. Comment as-tu fait en sorte de faire ressortir tes coups en ne gardant que des sons acoustiques sur tes toms et ta caisse claire…
Kevin Paradis : Pour ce qui est du son d’Ekbom, je pense que Kohle du « Kohlekeller Studio » commence à savoir ce que j’aime en matière de son. Il y a deux ou trois choses dont je suis mécontent, mais globalement, je suis heureux du travail accompli car je reconnais le son de mon instrument, surtout la caisse-claire et les cymbales. Pour s’en rendre compte, il suffit d’écouter mon Play-Through de « Scars » et de le comparer à la version de l’album. Le producteur a t’il utilisé des pistes de Triggers basées sur les Samples de ma batterie que j’ai fournis ? Peut-être ! Ce qui compte est la qualité du résultat plus que la méthode. Pour mon jeu, qui essaye d’être dynamique et Groovy, un son trop mécanique et froid ne rendrait pas tout ce que je veux faire. J’ai simplement essayé de poser au mieux les micros, d’accorder au mieux l’instrument, d’avoir une frappe juste en intensité. Mon studio est aussi doté d’une belle salle de prise, ce qui aide à avoir un beau son « acoustique ».
TvRockLive.com : Au tout début de la vague de Metal Extrême et l’avènement des Triggers, les batteurs voulaient nous faire croire qu’il fallait absolument Trigger tous les éléments de la batterie. Les rendus étaient si froids et mécaniques…
Kevin Paradis : Je ne dirai pas que quiconque a voulu faire croire quoique ce soit. Ce sont surtout les limites humaines et technologiques qui ont bougé. Je peux me tromper, mais je vois plus la chose sous cet aspect. Il faut prendre en compte de nombreux facteurs que je vais essayer de détailler rapidement. Au début du Death Metal, on avait affaire à des jeux très musclés et rapides. Je pense notamment à Morbid Angel. Mais les batteurs, souvent autodidactes, étaient encore très approximatifs. Il fallait encore tout inventer ou presque en termes de technique. L’édition audio devait être massive, mais on n’avait pas encore basculé entièrement dans l’ère du tout numérique qui aujourd’hui permet d’éditer efficacement les vrais prises. Du coup, l’édition audio consistait principalement à remplacer, par exemple, tous les tapis de double pédale par une boite à rythmes programmée pour jouer tant de coup par seconde. Le son des premières boites à rythme était très synthétique, donc le son était clairement mécanique. Mais après tout, c’est aussi le charme de ces productions. On avait aussi affaire à des groupes qui n’avaient absolument pas le budget des grosses productions de l’époque, et tout comme aujourd’hui, je pense que l’utilisation d’une boite à rythmes en complément ou en remplacement des vraies prises était une alternative économique et un gain de temps. Il fallait aussi développer des techniques de mixage et de prise de son, développer le matériel de batterie et d’enregistrement, qui permettent de faire sonner les vrais prises. Enfin, il fallait des batteurs capables de jouer assez précisément pour pouvoir exploiter les vrais prises. Aujourd’hui, tout a changé. Les sons pour Triggers disponibles sont parfaitement naturels et il devient très difficile voire impossible de dire si une batterie est Triggée ou non. On dispose de meilleurs outils et de plus d’expérience pour produire un jeu de batterie extrême. L’avènement du numérique a clairement été utile. En revanche, on n’a pas plus de budget ! Je dirais aussi que la froideur et le rendu mécanique peuvent résulter d’un choix artistique.
TvRockLive.com : Est-il possible selon toi de jouer à 300 bpm sans Trigger les grosses caisses ?
Kevin Paradis : Absolument pas ! Bon, il y aura toujours quelqu’un pour dire et montrer que c’est possible. On va se retrouver avec des vidéos filmées au Smartphone ou bien avec de petits enregistreurs, au son ultra compressé, avec des grosses caisses sonnant comme du carton, des cymbales et une caisse-claire mutées qui sonnent franchement mal ; et la plupart du temps, il n’y a pas de guitare par-dessus. Ces conditions de jeu sont très différentes du contexte dans lequel je joue. De plus, la moindre guitare saturée couvrira une bonne partie du signal de grosse caisse… Tout cela pour dire que ma réponse reste encore aujourd’hui non. La vraie question à se poser est : « Que veut-on en matière de son ? » En effet, l’utilisation des Triggers implique avant tout le choix d’un son. Il ne faut pas perdre de vue que bon nombre de productions n’évoluant pas dans le Metal Extrême utilisent les Triggers. En effet, même si les tempos sont suffisamment lents pour se contenter d’une sonorisation par microphone, seuls les Triggers permettent d’arriver au résultat escompté. Le Trigger est un outil pour atteindre un but, y compris artistique.

TvRockLive.com : Il y a 40 ans, jouer des Blasts à plus de 300 bpm était inimaginable. Pour toi, cette prouesse est-elle due à l’évolution technologique (Triggers, souplesse et rapidité des pédales de grosse caisse modernes), ou est-ce que seul le facteur humain intervient ? 
Kevin Paradis : Les deux à mon sens, mais le facteur est surtout humain lorsqu’on parle de la vitesse aux mains. Le style a évolué, exigeant toujours plus de dextérité. Les batteurs se sont ainsi mis en mode exploration, testant différents tempos en fonction de leurs capacités.
TvRockLive.com : En ce moment, le « Gravity Blast » a le vent en poupe. C’est une technique très à la mode. L’as-tu adoptée ? 
Kevin Paradis : J’ai commencé à jouer du Gravity Blast vers 2010, avant même de savoir que ça s’appelait ainsi ! J’avais vu sur YouTube un solo d’Ian Paice qui utilisait la technique du « One Handed Roll ». Je me suis dit que ce serait sympa de Blaster avec cette technique.  Je ne suis pas super fan de cette technique car je la trouve assez désagréable et pas évidente à faire sonner. Mais sur Ekbom, j’ai dû l’employer sur « Nothing Left To Fear ». Peut-être qu’à l’avenir, j’investirai plus de temps pour la développer. À voir !
TvRockLive.com : À partir du moment où tu utilises des Triggers sur les grosses caisses, as-tu déjà envisagé de virer tes grosses caisses au profit de Pads ? Ça aurait l’avantage de faire moins d’encombrement au sol…
Kevin Paradis : J’ai déjà donné ce conseil à des batteurs en difficulté avec leur sensation de jeu ou avec leur système de Trigger, car c’est la méthode radicale pour toujours avoir la même sensation et un Triggering parfait. Pas de perturbations inhérentes à l’usage d’usage d’une grosse caisse. Pour ma part, j’ai préféré ne pas faire cela malgré les problèmes d’encombrement. De plus, je suis paré lorsque les toms de la batterie qu’on me met à disposition sont montés sur une grosse caisse. C’est rare mais ça arrive ! Et puis visuellement, jouer sur un kit sans grosse caisse n’est pas le top. En revanche, j’ai déjà envisagé de jouer sur une batterie électronique en concert, à l’exception des cymbales que je désire garder acoustiques. Ça pourrait pour être intéressant du point de vue sonore. Je pourrais explorer encore plus de tempos. Mais Je n’ai pas encore fait de test par manque de budget car il faut une très bonne batterie électronique.
TvRockLive.com : Il semblerait que tu préfères la double pédale à la double grosse caisse. Quelle en est la raison ? 
Kevin Paradis : C’est une question pratique et financière. Pas évident au niveau place d’amener une seconde grosse-caisse, et pas évident de la financer ! Mais j’y suis arrivé ! J’ai enfin ma seconde grosse-caisse sur mon kit depuis peu, et je la prendrai à chaque fois que je pourrai ! En fait, avec une bonne double pédale, deux grosses caisses sont à peine mieux qu’une double pédale. Il n’y a pas trop de raison d’avoir deux grosses caisses, à part pour le Look et la symétrie du Set.
TvRockLive.com : Il y a dix ans, tu utilisais un Trigger laser de la marque Trick, qui était à la pointe de la technologie. Utilises-tu toujours ce matériel ?
Kevin Paradis : Non plus du tout, et je crois que la marque a arrêté de le commercialiser. C’était un Trigger avec une technologie assez avancée. Mais dans la pratique, ce n’était pas top sur tous les tableaux. J’ai commencé à les utiliser car il n’y avait pas encore de capteurs universels pour double pédale placés sous la semelle. Il y avait les capteurs de peau, les capteurs Axis pour leur propre pédale (sauf bricolage !), et puis Trick. Comme j’utilisais déjà leur pédale, je me suis naturellement orienté vers le Trigger qui convenait le mieux. Il n’était pas sans défaut. C’est pourquoi lorsque les Triggers universels pour double pédale sont apparus, j’ai pu en tester plusieurs et j’ai vraiment préféré leur rendu !
TvRockLive.com : Quel est selon toi le Trigger le plus fiable du monde ? 
Kevin Paradis : Pas certain qu’il existe un système fiable à 100%. Cela dépend de la technique de jeu et de la configuration de la grosse caisse (peaux Mesh ou pas, une grosse-caisse ou deux ?) Pour ma part, je suis satisfait des « On Trigger ». Ils sont bien sensibles pour le jeu « Ankle Motion » et bien résistants pour encaisser le « Full Leg Motion ». Leur capteur Piézo est facilement remplaçable. Ils sont dotés de câbles pas très bien protégés, mais au final, ils ne cassent jamais. La plaque de métal qu’on peut tordre permet d’ajuster la hauteur du capteur, mais pour plus de précision, j’utilise un rail de crémaillère développé selon mes préceptes par ACD Unlimited. Depuis l’idée de ce rail, ACD a développé son propre Trigger. Mais je préfère le capteur « On Trigger ». Du coup ACD a conçu un rail universel pouvant recevoir n’importe quel capteur pour pédale de grosse caisse. J’utilise actuellement une version beta. Ce rail n’est pas encore commercialisé, mais ça va arriver !
TvRockLive.com : Quelle est ta technique de pieds préférée ?
Kevin Paradis : Pour aller vite, j’utilise le « Ankle Motion », donc je maintiens mon talon en l’air et je mobilise uniquement la cheville avec des mouvements verticaux.
TvRockLive.com : On voit en ce moment sur les réseaux sociaux un batteur un peu dingue, El Estepario Siberiano, qui s’est mis à jouer de la quadruple grosse caisse, avec l’usage de deux grosses caisses équipées d’une pédale à double batte. Est-ce selon toi l’avenir du Metal Extrême ou juste un gadget ?
Kevin Paradis : Qui sait ? Si un jour un batteur en fait un usage qui lui plaît, pourquoi pas ? En fait, cette pédale existe depuis bien longtemps. Dans le passé, il y a déjà eu pas mal de démonstrations mettant en jeu des vitesses hallucinantes, mais la sauce n’a pas pris ! Pourquoi ? Difficile à dire… Est-ce que les gens considèrent que c’est bidon ? Au final, jouer plus vite n’est peut-être pas ce qui compte le plus ?
TvRockLive.com : Ce youtubeur a aussi développé des techniques pour jouer avec une seule main. Que t’inspire cette démarche ? Cirque ou réelle utilité ? 
Kevin Paradis : Il n’a pas développé de technique qui n’existaient pas déjà, mais il a développé un concept. Ranko de French Grip Channel en parle très bien, dans la même vidéo que j’ai déjà mentionnée. Il pense que c’est du cirque et je partage son opinion. Je ne pense pas qu’El Estepario Siberiano s’en cache, et c’est justement ça son concept. C’est comparable aux vidéos de challenge avec une bouteille d’eau très populaires sur Tiktok. La mode est aux mini-exploits de 30 secondes consistant à surjouer totalement des morceaux. El Estepario est  très bon pour cela. Personnellement, ça ne m’inspire rien ! C’est un batteur extraordinaire, hors normes, qui de surcroît est un très bon communiquant, capable de conceptualiser une utilisation de l’instrument et de créer du contenu unique que personne n’avait fait. Mais artistiquement, je ne trouve rien à me mettre sous la dent. J’y suis peut-être simplement hermétique ? Idem pour les morceaux de son groupe qu’il a présentés récemment. Je ne les trouve pas aussi créatifs que son concept de communication. En revanche, les parties de batterie de Death Metal « Cheatées » que mentionnent Ranko, soit disant jouées à 280 bpm qui ne sont pas réellement jouées, ont inspiré de nombreux batteur à se dépasser et atteindre véritablement ces tempos. Tout ça pour dire que l’engagement artistique inspire plus que la démonstration ou le spectacle. En bref, El Estepario Siberiano ne fait que des démonstrations destinées à faire le buzz. Mais il pourrait très bien inspirer certains batteurs qui réutiliseraient ses idées à des fins artistiques. En matière de batterie, il reste sans doute beaucoup à inventer ou réinventer.
TvRockLive.com : Je pense que tu es conscient que les parties de batterie que tu joues sont inaccessibles techniquement pour le commun des mortels. Que conseillerais-tu à un jeune batteur pour atteindre ce niveau ? 
Kevin Paradis : Arf ! Question très intéressante et difficile ! Je ne peux parler qu’en fonction de mon expérience. Ce qui marche pour moi ne marche pas forcément pour d’autres. Il faut prendre ce que je vais énoncer avec une certaine distance. Tout d’abord, je ne peux que conseiller de prendre des cours de batterie. Il faut trouver le bon professeur qui saura donner les bases pour apprendre seul et continuer son parcours. Il ne faut pas juste travailler des morceaux, il faut acquérir des bases abstraites sur lesquelles construire, savoir comment casser ce qui est compliqué en petites briques plus simples. J’ai appris la double pédale et le Metal Extrême seul. Ma technique de main, je l’ai créée (recrée car elle existait déjà évidemment) aussi seul, mais les cours m’avaient donné toutes les bases pour y arriver. C’est un engagement sur le long terme, il faut du temps pour construire son jeu, sa technique, son style. Cela demande patience, discipline, persévérance, passion, dans tous les sens du termes. Il y a autant de joie, d’envie, de motivation, que de déceptions, de frustrations voire de colère. Du coup, il faut se donner les moyens et aménager son emploi du temps pour avoir le temps de travailler efficacement. Bien évidemment, il faut aussi rêver, s’inspirer, se trouver des modèles qui vont se succéder,  imiter, réinterpréter. Je pourrais aussi parler longuement de l’aspect professionnel, mais c’est une autre histoire…
TvRockLive.com : Comment te prépares-tu avant d’entrer en scène ?
Kevin Paradis : Tout dépend des morceaux d’ouverture du concert. Dans tous les cas, je m’aménage une période de repos, allongé. En effet, j’évite la posture assise autant que possible durant les heures qui précèdent le concert. Je fais aussi des échauffements visant à éveiller mes muscles. Je ne vais pas forcément m’entraîner sur un Pad, sauf si le concert commence de manière très intense. Mais cet entraînement n’excédera jamais 30 minutes. Je me contente de bouger, tout simplement ! Je profite aussi du Line Check pour jouer un peu. Si j’ai des douleurs ou des tensions, je vais faire des étirements légers pour essayer de relâcher ces tensions. Si je me sens angoissé, préoccupé, stressé, je vais prendre le temps de faire le vide autant que possible. Pour la double pédale, c’est plus compliqué car il n’est pas évident d’avoir des Pads pour s’échauffer. Je compte alors plus sur le Line Check pour m’échauffer les pieds. Rien de trop intense. Des tempos pas trop rapide, ou alors des salves assez courtes. Globalement, je cherche surtout à ne pas consommer mon énergie avant de monter sur scène. Mon corps et mon esprit doivent rester disponibles pour la prestation.

TvRockLive.com : Comment te sens-tu 5 minutes après la sortie de scène ?
Kevin Paradis : Tout dépend de la qualité de la prestation. Je peux vraiment me sentir mal si je suis déçu de moi, ou que j’ai souffert pendant la prestation. Il m’arrive de faire une bonne prestation, mais qui a été très pénible pour moi car je ne me sentais pas à l’aise et trop concentré sur la technique au lieu d’être dans la musique. C’est très agaçant, frustrant, angoissant, puisqu’au final, votre rapport à votre propre corps est en crise. « Il » n’a pas répondu comme espéré, alors il devient comme un « corps étranger », ce qui est l’un des ressorts de l’horreur… Dans ce cas, je me sens physiquement épuisé. Heureusement, ce n’est pas toujours le cas ! Lorsque les choses se passent bien, je suis apaisé, j’ai le sentiment que le travail est bien fait car j’ai pu apprécier ma prestation, profiter de la musique, de l’énergie. Je me sens alors en grande forme physique après le concert, même si je sens que je n’étais plus en mesure de jouer beaucoup plus. Parfois, après un effort physique long et intense, j’ai une sensation de légèreté dans le corps.
TvRockLive.com : Les batteurs sont souvent très tatillons sur le positionnement de leurs fûts et de leurs cymbales. Cela se joue au millimètre près. Attaches-tu de l’importance à cela ? Accepterais-tu de t’installer sur scène en 5 minutes sans avoir le temps de procéder à des réglages fins ? 
Kevin Paradis : J’attache en effet une importance à cela. Il y a des choses qui ont objectivement une importance, et d’autres qui relèvent plus de la maniaquerie et qui servent plus à me mettre en confiance qu’autre chose, il faut bien l’avouer. 5 minutes pour m’installer, non ! Jamais ! D’ailleurs, c’est à peine le temps dont j’ai besoin pour poser les cymbales et la double pédale ! Avec nos kit de fou furieux, il nous faut du temps pour tout poser (Rires !) Plus sérieusement, je dirai qu’il nous faut un matériel adapté à nos prestations, sinon il n’est plus possible de Performer de la même façon. J’essaye de prévoir cela en amont dans la composition. S’il y a des éléments que je n’aurai jamais en terme de Backline, je ne compose pas avec, et si j’ai composé avec certains, je les impose dans les conditions techniques du concert. Si je devais arriver et jouer sur n’importe quel kit, je serais obligé de transformer des choses. C’est en soi un défi intéressant, mais lorsque tu développes une œuvre, tu veux pouvoir le retranscrire au mieux devant un public. Je suis assez tatillon mais j’ai du mal à m’en empêcher !
TvRockLive.com : Pour toi, quel est le meilleur moyen de contrôler ses pieds, placer son tabouret très haut à la « Gene Hoglan », au plus bas à la « Dave Lombardo », ou à hauteur moyenne ?
Kevin Paradis : Alors là c’est carrément une question de santé ! S’asseoir trop bas c’est la blessure à coup sûr pour du Metal Extrême : Syndrome du piriforme, douleurs lombaires, aux genoux,  etc. En effet, lorsque le genou est au-dessus de la hanche, il est plus en flexion, et les lombaires sont davantage sollicités. C’est donc à éviter ! Il faut veiller à ce que l’articulation du genou soit au-dessous de celle de la hanche pour éviter une trop forte compression des tissus au niveau des hanches, qui viendrait irriter le nerf sciatique par exemple.
TvRockLive.com : Tu as été le batteur Live d’un groupe de légende, Agressor, qui a été à ses débuts Leader du Metal Extrême en France. Que représente ce groupe pour toi ? Quelle a été ton approche lorsqu’il s’est agi de reprendre des morceaux de Never Ending Destiny, Towards Beyond ou Symposium Of Rebirth ?
Kevin Paradis : Agressor, ou le Tribute Massacra que j’ai rejoint pour une prestation au Fall Of Summer étaient de très belles expériences. Je n’ai jamais trop compris pourquoi ces groupes n’avaient pas réussi à avoir l’aura de Morbid Angel. Ils ont en effet commencé en même temps. Pour en revenir à ta question, c’était un honneur de jouer pour Agressor, mais j’ai fait cela à ma façon, avec mon engagement habituel, en réinterprétant certaines choses. Cela dit je n’ai pas forcément réalisé de prime abord le statut légendaire du groupe. C’est venu en écoutant Alex parler, en m’intéressant à l’histoire du Metal Extrême en France et dans le monde, en plongeant petit à petit dans la discographie. Parfois, Alex me disait : « On va jouer ce morceau de tel album. T’es ok ? ». Je validais toujours ses propositions car ces vieux morceaux sont extra. J’étais encore plus stupéfait lorsque je regardais leur année d’édition. Je réalisais à quel point cette musique était avant-gardiste. Certes, les batteurs des années 2000/2010 comme moi, ont plus de capacités techniques. Dans Agressor, j’ai réussi à relever le défi de trouver ma place dans cette musique extraordinaire, de mettre à disposition mes capacités techniques, mais sans jamais trahir l’esprit originel.
TvRockLive.com : Tu as passé ta vie à peaufiner ton style et faire en sorte que ton jeu extrême soit précis et ne ressemble pas à de la bouillie. Que penses-tu des pionniers du genre qui étaient extrêmement peu précis ? Je pense à Destroy d’Agressor, Mick Harris de Napalm Death, Ventor de Kreator, Abaddon de Venom, les premiers Bathory, Bruce Day de Hellhammer…
Kevin Paradis : Je déteste ! Mais je ne suis peut-être qu’un gros Snob du Metal. En début d’entretien, je parlais de ces historiens de la musique décrivant le Punk comme un retour à la contestation originelle du Rock, prétextant que les groupes qui balançaient des orchestrations partout comme pour gagner leur lettres de noblesse avaient perdu cet esprit rebelle. Tout cela me saoule !  Pour tout te dire, je pense être complètement hermétique au Punk primaire considéré comme un défouloir. Je m’y refuse par choix car c’est bien trop simple d’arriver et de se contenter de tout casser. J’ai une approche bien plus chirurgicale de la musique. Je suis plus Cyberpunk que Punk car mon jeu est étroitement lié à la technologie et aux machines via les Triggers et le métronome. J’aime lorsque la musique dégage une énergie infernale, mais il faut que cette musique soit aussi puissante que maîtrisée. On pourrait dire que j’ai une incapacité à me laisser aller, à assumer la part d’animal en moi… Je me sens plus Alien qu’animal. C’est comme un déferlement venu d’ailleurs, de l’autre, de l’altérité, de ce qui n’est pas humain, de ce qui nous dépasse. Rien de transcendant ou de divin, mais quelque chose de menaçant car foncièrement autre. La bouillie animale et viscérale servie par le Punk est trop rassurante car trop humaine.

TvRockLive.com : Tu as aussi été membre de Svart Crown, mais il semblerait que ton départ de ce groupe ait été un peu tendu. Que s’est-il passé ?
Kevin Paradis : Je ne dirai pas « tendu » avec le recul, même si je comprends pourquoi tu dis cela. L’idée de mon départ était devenue une évidence. Cela s’est passé progressivement. J’avais des engagements avec le groupe, et même après ma décision, je les ai honorés. Je ne suis pas parti du jour au lendemain. J’ai été honnête sur mes déclarations, qui, si ma mémoire est bonne, indiquait que nous n’étions plus en accord, aussi bien artistiquement qu’humainement. Nous étions aussi en désaccord sur l’aspect Management et l’image du groupe. Pour autant, j’ai versé ma larme au Hellfest 2022 en voyant leur dernière prestation, et je suis allé sur le côté de la scène voir JB, très ému. Ce groupe a été si important pour moi ! Nous avons vécu des choses tellement fortes, notamment aux USA en 2015. J’ai le sentiment qu’on a raté quelque chose, que tout aurait pu se passer différemment.
TvRockLive.com : Lorsqu’on regarde les solos de batterie de vieux Jazzmen comme Buddy Rich ou Louie Bellson (qui jouait déjà en double grosse caisse), on se dit que ces musiciens avaient déjà défini les bases du Metal Extrême avant même la création du Metal. En effet, toutes les techniques de mains qu’ils avaient développées sont aujourd’hui utilisées dans le Metal Extrême, y compris le roulement à une main. Ces batteurs t’ont-ils inspiré ? 
Kevin Paradis : Il y a des batteurs hors Metal Extreme qui m’ont inspiré comme Dave Weckl que je citais plus haut, ainsi qu’Ian Paice et Roger Taylor ! Buddy Rich ou Louis Bellson ne m’ont pas touché, même si j’ai regardé certaines de leur vidéos très démonstratives. Je connais trop peu leur jeu pour me prononcer en détail. Je sais qu’ils ont effectivement posé les bases de la double grosse-caisse. Techniquement parlant, le Metal Extrême n’a rien inventé. Les techniques de mains de type « Push/Pull » ou « Open/Close », les techniques de pieds telles que le « Swivel », l’« Ankle Motion » et le « Heel Toe » existent depuis bien longtemps.  On peut toujours trouver des embryons de tout cela chez les batteurs que tu cites. Pour ce qui est des mains, je remonterais même aux prémices du tambour militaire, dont Rich et Bellson ont assurément hérité.
TvRockLive.com : Tu as fait énormément de sessions studio ou Live. Avec quel groupe de Metal Extrême rêverais-tu de jouer ?
Kevin Paradis : Malheureusement, je n’ai pas de rêves de la sorte, et c’est bien dommage car ça entretient la motivation ! Non pas qu’il n’existe pas de groupe extraordinaire qu’il serait génial de rejoindre ! Mais pour moi il n’y en a pas un qui se détache du lot.

TvRockLive.com : Serais-tu capable de jouer pour un groupe de Rock, de Funk, de Disco, de Rap, de Dub, de Variété ou de Reggae ?
Kevin Paradis : Tout est question de travail et de motivation, si la musique me plaît, oui je suis confiant sur le fait que je puisse me fondre dans un autre style. Au studio, je n’enregistre pas que pour des groupes d’extrême, même si cela reste l’écrasante majorité. À bien y réfléchir, en matière de rêve, j’aimerai beaucoup jouer dans un style différent pour un artiste très connu, et ce sur toute une tournée. Je ne sais pas quelles sensations j’aurais si je jouais des rythmes simples Groovy et super carrés ? Est-ce que j’arriverais à ne pas sur-jouer ? Comment je réagirais en jouant chaque soir devant 10 000 personnes ? Il y a quelques temps, on m’a fait découvrir Lomepal. J’ai beaucoup aimé son dernier album qui présente pas mal de plans acoustiques. C’est le premier artiste de Rap que j’écoute vraiment. Lomepal a un vrai groupe Live avec lui. On m’avait payé la place pour aller voir son concert à Lyon mais j’étais en tournée et j’ai malheureusement raté l’expérience. Jouer dans ces conditions, dans un Show à l’américaine aux côtés d’un grand artiste, est le genre de chose que j’adorerais faire.
TvRockLive.com : Les batteurs de Metal Extrême doivent souvent, par la force des choses, délaisser le jeu au Charley ouvert, à cause de l’usage de la double grosse caisse. Est-ce ton cas ?
Kevin Paradis : Non car comme tu l’as mentionné plus haut, je joue pas mal avec les accents. La double pédale n’interdit pas de l’utiliser sur des Grooves sans double. On peut aussi utiliser la main pour le plaquer en position fermée, le laisser s’ouvrir avant de le refermer. On peut placer son pied sur la pédale grosse-caisse et de Charley tant qu’on ne joue pas trop vite. On peut aussi faire un Blast à un pied pour garder contrôle de la pédale de Charley. Vraiment, la double pédale ne doit pas devenir une excuse pour ne pas jouer pleinement le Charley.
TvRockLive.com : Peux-tu décrire plus en détail ta technique de mains lors des Blast Beats ? D’ailleurs, as-tu une ou plusieurs techniques ?
Kevin Paradis : J’utilise uniquement mon poignet jusqu’à 180/200 bpm, parfois 220 bpm. Ensuite j’utilise l’Open/Close qui est un « Grip » américain consistant à jouer une croche au poignet tout en ouvrant la main pour ne garder que la pince sur la baguette, avant de jouer la seconde croche en refermant la main. Il est assez facile de faire passer cette technique en binaire ou en ternaire (dans ce cas, la troisième croche est jouée par le rebond uniquement). Ici, l’usage du poignet est primordial malgré l’utilisation des doigts. Beaucoup de batteurs qui veulent l’apprendre la considère à tort comme un raccourci pour apprendre à jouer vite rapidement. En fait, il est capital de bien maîtriser sa technique de poignet avant, car c’est le poignet qui communique en premier lieu l’énergie à la baguette. S’il n’est pas maîtrisé, il se crispe très vite, ce qui perturbe le mouvement des doigts !
TvRockLive.com : Quels sont tes types de Blast préférés ?
Kevin Paradis : Je suis très réservé sur le « Gravity Blast » ou sur l’« Hyper Blast ». J’ai une préférence pour le « Blast» traditionnel (avec la grosse-caisse et la cymbale en même temps et la caisse claire en l’air), ainsi que pour le « Bomb Blast » (avec ces tapis de double croche à la grosse-caisse et la caisse claire en croche.) Dans tous les cas, il ne faut jamais oublier l’accentuation sur les cymbales, la caisse-claire et les toms. Je ne conçois que les « Blasts » qui présentent une sorte de « Beat l’intérieur ».

TvRockLive.com : Peux-tu décrire ton matériel ?
Kevin Paradis : Je possède une seule batterie actuellement, une Pearl « Reference Pure ». C’est un modèle fusion avec grosse-caisse de 20×14, qui sonne d’enfer lorsque je veux jouer sans Trigger. À l’origine, elle était équipée de toms de 10×7 12×8 et 14×12. J’ai été surpris par la taille minuscule de cette batterie qui possède en fait un son énorme ! Impressionnant ! J’ai fini par troquer le tom de 10×7 par un 10×8. J’ai également acheté un 8×8. Ainsi, j’ai trois Rack Toms de même profondeur pour plus de cohérence sonore et visuelle. Ma caisse-claire est de la même série en 14×6,5. La « Reference Pure » a été depuis remplacée par la « Reference One » qui n’est pas foncièrement différente. La recette reste celle d’essences de bois sélectionnées en fonction des fûts (plus de bouleau pour les petits fûts afin d’ajouter du claquant et plus d’acajou pour les gros fûts afin d’ajouter des graves). Les chanfreins sont aussi dimensionnés selon l’attaque ou les basses fréquences que l’on veut obtenir. Les fûts de cette série sont très fins, ce qui leur confère une très bonne sensibilité. Ils sont donc parfaits pour jouer vite. Mon kit est très polyvalent. Il peut produire beaucoup de sons différents. En plus il est compact et léger. Même avec mes deux grosses caisses, je prends moins d’1m90 au sol en largeur ! Au niveau du Look, la finition « Matte Walnut » est l’une des plus belles que j’ai vue ! J’ai récemment monté l’ensemble sur Rack, une seule barre avec deux petites extensions. Visuellement, c’est très épuré et compact. J’ai hâte de l’utiliser pour la première fois dans cette configuration en concert. La marque de cymbales que j’ai choisies est T-Cymbals, composée d’une équipe d’artisans turcs qui fait des cymbales incroyables à un tarif juste. Le truc génial, c’est que j’avais envie de leur demander de travailler sur des prototypes, et surtout une Ride, le but étant de faire un modèle signature, quitte à tout financer moi-même. Figure-toi qu’ils m’ont proposé de faire une série signature ! On était sur la même longueur d’onde, et depuis nous avons créé deux Rides, 3 chinas, et une Bell. Tous ces produits sont notamment en vente sur mon site Internet. De plus, au moment où j’écris ces lignes, j’ai les prototypes de 5 Crash et deux cymbales d’effets en test. C’est génial car ces personnes sont motivées pour créer de nouveaux sons. Actuellement, nous réfléchissons pour créer de nouvelles cymbales réalisables techniquement, dotées de sons séduisants, et dont nous pourrions venter l’utilité pour telle ou telle situation. J’ai vraiment à cœur de faire connaître cette marque. Je m’associe uniquement à des compagnies qui proposent des instruments auxquels je crois. La réputation de Pearl est reconnue dans le monde. Mais pour ce qui est de T-Cymbals, tout est à faire. J’espère arriver à leur apporter plus de notoriété car ils méritent d’être davantage joués ! J’utilise les pédales de grosse caisse ACD « Unlimited » car elles sont fiables et offrent plein de réglages. J’ai une bonne relation de travail avec leur concepteur Dennis, ce qui est vraiment important pour moi car je sais que je peux toujours compter sur lui en cas de besoin ou d’idée à essayer. Il est très connu dans le milieu du Metal Extrême grâce à ses doubles pédales à la pointe de ce qui se fait. Du coup, il a un carnet de commandes bien rempli avec un certain délai d’attente. Mais franchement, ça vaut le coup d’attendre ! La quantité de réglages possibles est simplement incroyable. On ne peut être déçu ! Pour les peaux, j’ai opté pour Evans. Au niveau des toms, j’utilise les « Black Chrome » (dont j’adore la finition) et les « Onyx ». Ces deux séries ont l’avantage d’offrir des doubles peaux un peu plus épaisses que la moyenne, vraiment adaptées pour les accordages bas que j’utilise. La marque propose une quantité impressionnante de modèles de peaux de caisse-claire. On a vraiment l’embarras du choix ! Et que dire de leur « Gel Muffler » ? Moi qui étais fâché avec les « Moongel » avec leur durée de vie limité et leur tendance à vraiment garder la poussière, Evans m’a vraiment réconcilié avec ce type de Muffle ! Pour ce qui est des baguettes, j’utilise là aussi une marque qui mérite d’être plus connue : Scorpion Percussion. C’est incroyable à quel point elles durent longtemps ! Le bois est dense et résistant, elles ont moins de colle par rapport aux autres marques. Je ne suis pas loin d’utiliser plus de peaux que de baguettes… Bon j’exagère un peu mais à peine. J’espère qu’on pourra un jour les distribuer en Europe, ou ne serait-ce qu’en France, pour les garder à un tarif compétitif.
TvRockLive.com : Que penses-tu de la dernière tournée Hellfest Warm Up de Benighted ? 
Kevin Paradis : Nous n’avons fait que de belles salles françaises avec l’infrastructure Hellfest pour organiser le tout. C’est génial d’avoir cette opportunité, c’est comme si on sortait de l’Underground qui est majoritairement la norme dans le Metal Extreme. Je sais que certains pensent qu’il faut rester Underground pour garder l’essence du style. Pour ma part, je pense qu’on peut sortir de l’Underground sans se fourvoyer. Je dirais qu’il ne faut pas se complexer lorsqu’on reçoit de telles offres. Si les gens aiment, tant mieux. S’ils détestent, tant pis ! Il n’est pas question d’adapter le Metal Extrême à un public plus large. Notre Set List sur cette tournée était d’ailleurs la plus intense qu’on ait jamais faite. Notre morceau le moins rapide était à 250 bpm. Il faisait presque office de « moment de pause » (Sourire).
TvRockLive.com : Des projets de tournées ?
Kevin Paradis : Nous avons une tournée canadienne en septembre, une tournée européenne en Novembre, des dates en France en Octobre et pas mal de projets vraiment sympa pour 2025 ! Pour ma part, je joue aussi avec Ne Obliviscaris, et je sais que les agendas ne vont pas être à 100% compatibles. C’est pourquoi ce dernier se prépare à pallier mes absences. À l’heure actuelle, je ne sais pas encore exactement quelles dates je pourrai assurer. Pas facile de concilier les deux formations.
TvRockLive.com : Benighted te permet-il de vivre de ta musique ? 
Kevin Paradis : Le groupe est loin de me permettre de vivre de la musique. Je vis surtout de mon activité de batteur studio de session. La musique Live coûte beaucoup trop d’argent pour espérer être rémunéré suffisamment. Benighted est en mesure de me rémunérer suffisamment dans le cadre des tournées, ce qui est déjà super car je n’ai pas besoin d’économiser de l’argent pour partir un mois. Cela dit sur une année complète, je ne génère pas assez de revenus avec le groupe pour subvenir à mes besoins. Mais je ne me plains pas car c’est génial d’avoir des groupes avec qui tourner. Faire de la musique uniquement en studio est épuisant. Ça demande d’apprendre et d’enregistrer avec un rythme soutenu. Avec les concerts, je travaille sur une Set List que je vais pouvoir jouer de nombreuses fois. Malgré la fatigue en tournée, d’un point de vue musical, le rythme est beaucoup moins soutenu. Jouer en concert est un défi que j’adore relever, même si je n’obtiens pas toujours le résultat escompté.
TvRockLive.com : As-tu un dernier message ?
Kevin Paradis : Je voudrai te remercier pour ces belles questions. Tu m’as donné une super opportunité de m’exprimer, vraiment ! Pour ceux qui voudraient en savoir plus sur mon travail, n’hésitez pas à faire un tour sur mon site www.kevinparadisdrumming.com, ou à me retrouver sur Youtube, Instagram et Facebook !